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Fresenius Replay 2024
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Traitements par anticorps anti-inhibiteurs de checkpoint – Mécanismes de l’immunotoxicité

Résumé
Les effets secondaires immunitaires de l’immunothérapie par anti-inhibiteurs de checkpoint sont le résultat d’une inhibition de la réponse régulatrice. Cette “levée du frein” sur la réponse immunitaire conduit à l’expression biologique et clinique de véritables maladies auto-immunes. Les lymphocytes T autoréactifs du patient : a) CD4+ produisent des cytokines pro-inflammatoires à l’origine de symptômes d’inflammation chronique et collaborent avec les lymphocytes B pour la production des auto­-anticorps, b) CD8+ sont capables de cytotoxicité directe sur les cellules du soi.

Abstract
Anti-Inhibitor Antibody Treatments: Mechanisms of Immunotoxicity
Immune-Related Adverse Events Associated with Immune Checkpoint Blockade are the result of an inhibition of the regulatory response. This “lifting of the brake” on the immune response leads to the biological and clinical expression of true autoimmune diseases. The patient’s self-reactive T cells: a) CD4 + produce pro-inflammatory cytokines that may cause symptoms of chronic inflammation, and collaborate with B cells for the production of autoantibodies, b) CD8 + are capable of cytotoxicity directly on the cells expressing self-antigens.

La réponse immunitaire

La réponse immunitaire met en jeu les cellules de l’immunité innée et de l’immunité adaptative (lymphocytes B et T). Les lymphocytes T (LT) naïfs sont éduqués dans les ganglions par les cellules dendritiques, les différents signaux échangés pouvant conduire la différenciation de ces lymphocytes vers deux familles fonctionnelles : LT effecteurs (LTCD4+ produisant des cytokines et aidant les lymphocytes B à produire les anticorps et LTCD8+, principalement cytotoxiques) et LT régulateurs (Tregs). La tolérance aux antigènes du soi est la conséquence du “freinage” des effecteurs par les régulateurs (Fig. 1). Ce “frein” passe par la production et l’expression de plusieurs familles de molécules régulatrices, dont celle des inhibiteurs de checkpoint.

Les inhibiteurs de checkpoint

Parmi les inhibiteurs de checkpoint, les molécules CTLA-4 (Cytotoxic T Lymphocyte Associated Antigen 4) et PD-1 (Programmed Cell Death Protein-1) jouent un rôle majeur dans les mécanismes conduisant à l’anergie des LT antitumoraux et l’inhibition de l’immunité contre la tumeur.
L’utilisation d’anticorps thérapeutiques spécifiques des inhibiteurs de checkpoint ou de leurs ligands lève efficacement l’inhibition de l’immunité antitumorale et représente aujourd’hui une avancée thérapeutique majeure en cancérologie (1). Mais la levée du frein peut également concerner des LT autoréactifs du patient, expliquant la fréquence élevée des manifestations auto-immunes ou auto-inflammatoires (appelés effets indésirables liés à l’immunité [EILI]) chez les malades traités (2).

Les effets indésirables liés à l’immunité

Des mécanismes mal élucidés

Les mécanismes exacts des EILI sont encore mal élucidés, mais il existe plusieurs niveaux d’évidence pour mieux les comprendre :
a) CTLA-4, exprimée par les cellules dendritiques, exerce son action dès l’éducation des LT dans les ganglions en inhibant leur prolifération, la production de l’interleukine 2 (IL-2) et de son récepteur (3). La souris KO pour CTLA-4 décède ainsi par lymphoprolifération et manifestations auto-immunes multi-organes sévères 3 semaines après la naissance (4). CTLA-4 est aussi fortement exprimée par les Tregs, qui sont détruits par cytotoxicité anticorps-dépendante (ADCC) lors de l’utilisation thérapeutique d’anticorps anti-CTLA-4 chez l’Homme. Or un déficit en Tregs, chez la souris comme chez l’Homme, est associé à la survenue de pathologies auto-immunes multiples (5). Enfin, CTLA-4 est aussi exprimé à des niveaux variables par les cellules de l’hypophyse, ce qui pourrait expliquer la fréquence des hypophysites chez les patients sous anti-CTLA-4 (6).
b) PD-1 exerce son action régulatrice plus en aval. Son expression est induite par le LT activé. La stimulation de PD-1 à ce stade entraîne donc leur inactivation dans le tissu. On observe ainsi également une auto-immunité chez la souris déficiente en PD-1, mais avec une certaine sélectivité en fonction des tissus : tableaux proches du lupus, arthrites et myocardite auto-immune (7).

Ainsi, chez le patient cancéreux, l’activation de la voie inhibitrice PD-1 sera plutôt le fait des cellules du microenvironement tumoral, tandis que la voie inhibitrice CTLA-4
sera activée plus en amont (stade de l’éducation des LT dans les ganglions).

EILI : conséquence de l’activation de LT autoréactifs
Les EILI sont avant tout la conséquence de l’activation de LT auto-réactifs.
Cette activation conduit :
a) indirectement, via l’aide des LTCD4+, à la production d’auto-anticorps par les lymphocytes B autoréactifs,
b) à des phénomènes de cytotoxicité contre les tissus sains (LTCD8+ et autoanticorps activant le complément et les cellules de l’immunité innée),
c) à la production de cytokines inflammatoires.

Le rôle cytotoxique direct des LT
Si le rôle des auto-anticorps explique certaines manifestations (par exemple les thyroïdites), le rôle cyto­toxique direct des LT sur les tissus a aussi été mis en évidence (8). La production de cytokines pro-inflammatoires comme le TNF-α et l’IL-17 entre dans la physiopathologie des EILI, comme en témoignent l’efficacité thérapeutique de traitements ciblés sur certaines atteintes (par exemple, digestives) (9). Le recours à ces thérapeutiques doit toutefois être prudent, l’apparition d’une résistance aux anti-inhibiteurs de checkpoint pouvant suivre leur utilisation (10).

Le rôle
du microbiote
La qualité du microbiote – dont on appréhende mieux depuis quelques années les fonctions immunorégulatrices – joue certainement un rôle à la fois dans la réponse aux anti-inhibiteurs de checkpoint (11) et dans l’apparition éventuelle d’un EILI (12). Ainsi, la meilleure compréhension des facteurs environnementaux associés aux modifications de la flore (antibiotiques, antiseptiques, alimentation…) représente une voie prometteuse dans l’objectif de mieux contrôler les réponses immunitaires spécifiques d’antigènes (tumoraux et/ou du soi).n

Frédéric Bérard déclare avoir des liens d’intérêt avec MSD, BMS et Roche.