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Fresenius Replay 2024
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Prise en charge du carcinome urothélial métastatique – Vers l’infini et au-delà !

Le cancer de la vessie est le second cancer urologique le plus fréquent après celui de la prostate. Il se place au 8e rang des tumeurs solides avec 13 000 nouveaux cas recensés par an en France, dont 81 % d’hommes avec un diagnostic autour de l’âge de 70 ans. Le nombre de décès est encore estimé à 5 300 cas par an environ avec un besoin impérieux de nouvelles ressources thérapeutiques pour la prise en charge des patients atteints d’un carcinome urothélial localement avancé et métastatique dont le taux de survie à 5 ans reste aux alentours de 10 à 15 %. Les derniers mois ont vu émerger plusieurs thérapies innovantes avec la présentation de plusieurs études majeures qui viendront changer nos pratiques dans les prochaines semaines.

 

En première ligne métastatique : vers l’infini !

Cela faisait 30 ans que le traitement du carcinome urothélial n’avait pas bénéficié de véritables avancées, la chimiothérapie par sels de platine (cisplatine ou carboplatine associé à la gemcitabine) restant le standard thérapeutique en 1re ligne métastatique avec un pronostic encore sombre (médiane de survie globale de 15 mois environ). L’immunothérapie a considérablement changé la donne concernant la prise en charge de nos patients notamment dans le cancer de la vessie, avec des résultats cependant très variables en fonction des différentes phases de la maladie. 

 

Les inhibiteurs de checkpoints immunitaires

La première éclaircie est venue de l’utilisation du pembrolizumab en situation de 2e ligne métastatique après une chimiothérapie à base de sels de platine, suite aux résultats de l’essai de phase III KEYNOTE-045 (1). Cette étude avait permis d’obtenir un bénéfice significatif en survie globale (SG) (médiane de SG en faveur du pembrolizumab à 10,1 versus 7,2 mois pour la chimiothérapie ; HR = 0,71 ; IC 95 % = 0,59-0,86 ; p < 0,001) (1) avec des données à 5 ans récemment consolidées (20,7 % des patients sous immunothérapie étaient toujours vivants) (Fig. 1). Ces résultats étaient toutefois discordants avec ceux observés dans une autre étude de phase III (Imvigor211) qui évaluait l’atézolizumab chez les patients atteints d’un carcinome urothélial en 2e ligne métastatique avec un objectif non atteint sur son critère de jugement principal (SG). 

Figure 1 – KEYNOTE-045 : données de survie globale à 5 ans. 

Les inhibiteurs de checkpoints immunitaires ont logiquement été étudiés à un stade plus avancé de la maladie avec des fortunes diverses. 

L’avélumab

En effet, aucun essai thérapeutique de grande ampleur n’avait montré de bénéfice suffisamment significatif en termes de SG en faveur d’un traitement par immunothérapie en 1re ligne métastatique, qu’elle soit utilisée seule ou en association avec la chimiothérapie, en dehors d’une stratégie de maintenance avec l’avélumab. Les données récentes de l’étude JAVELIN Bladder-100 ont effectivement montré un bénéfice significatif en SG (21,4 versus 14,3 mois ; HR = 0,69 ; IC 95 % = 0,56-0,86 ; p < 0,001) et en survie sans progression (SSP) (3,7 versus 2 mois ; HR = 0,62 ; IC 95 % = 0,52-0,57 ; p < 0,001) en faveur de l’avélumab (versus placebo) chez les patients atteints d’un carcinome urothélial métastatique en réponse après un traitement de 1re ligne à base de sels de platine, permettant l’octroi rapide d’une AMM (2) (Fig. 2). 

Figure 2 – JAVELIN Bladder-100 : données de survie globale.

L’atézolizumab, le durvalumab et le trémélimumab

Dernièrement, les résultats négatifs de l’étude IMvigor130 avec l’atézolizumab (3) s’ajoutaient malheureusement à ceux des essais DANUBE (durvalumab ± trémélimumab) (4) et KEYNOTE-361 (pembrolizumab) (5) et sonnaient probablement le glas de leur utilisation en situation de 1re ligne métastatique (Fig. 3).

Figure 3 – Essais thérapeutiques en première ligne métastatique avec immunothérapie.

Le nivolumab

C’était sans compter les données de l’étude de phase III CheckMate-901, présentées à l’ESMO 2023, montrant pour la première fois un bénéfice significatif en SG en faveur d’un traitement par immunothérapie (nivolumab) en association avec une chimiothérapie par cisplatine et gemcitabine devant une médiane de 21,7 versus 18,9 mois (HR = 0,78 ; IC 95 % = 0,63-0,96 ; p = 0,0171), dont 70,2 % de survie à 1 an (versus 62,7 %) et 46,9 % de survie à 2 ans (versus 40,7 %) (6) (Fig. 4). 

Figure 4 – CheckMate-901 : données de survie globale.

Ces résultats pouvaient théoriquement faire de cette combinaison un nouveau standard thérapeutique en 1re ligne métastatique. 

La combinaison enfortumab védotin et pembrolizumab

Ils restent contradictoires avec les autres essais pivots et doivent tenir compte des résultats de l’étude EV-302 avec un bénéfice en SG beaucoup plus spectaculaire (et dont le bras standard incluait aussi des patients sous carboplatine et gemcitabine). Ce véritable blockbuster évaluait l’intérêt d’une combinaison enfortumab védotin et pembrolizumab en comparaison à une chimiothérapie par sels de platine (carboplatine ou cisplatine) et gemcitabine chez les patients atteints d’un carcinome urothélial métastatique en situation de 1re ligne, avec des résultats sans commune mesure, accueillis d’une standing ovation lors du même congrès de l’ESMO ! En effet, les premières données étaient spectaculairement en faveur de la combinaison devant une diminution de 55 % du risque de progression de la maladie avec une médiane de 12,5 versus 6,3 mois (HR = 0,45 ; IC 95 % = 0,38-0,54 ; p < 0,00001), une SG quasiment doublée avec une médiane de 31,5 versus 16,1 mois (HR = 0,47 ; IC 95 % = 0,38-0,58 ; p < 0,00001) et des taux de réponse objective (TRO) de 67,7 % (dont 29 % de réponse complète !) versus 44,4 % (p < 0,00001) (Fig. 5). 

Figure 5 – EV-302 : données de survie globale. 

Les analyses en sous-groupes

Lors des analyses en sous-groupes, le bénéfice en SSP et SG restait très en faveur de l’utilisation d’un traitement par enfortumab védotin et pembrolizumab, quels que soient l’éligibilité au cisplatine (éligible ou inéligible) et le statut PD-L1 (élevé ou faible), avec une diminution du risque de progression entre 50 et 60 % selon les groupes. Sur une analyse stratifiée en fonction des sites métastatiques, cette thérapie surpassait systématiquement la chimiothérapie, indépendamment de la présence ou l’absence de métastases viscérales (dont hépatique) (7). 

Toxicité

Il conviendra toutefois de manier avec précaution cette combinaison. En effet, une attention toute particulière devra être apportée concernant la toxicité cutanée (15,5 % de réactions cutanées en lien avec l’enfortumab et 11,8 % avec le pembrolizumab) et la survenue d’une neuropathie périphérique (6,8 %) ou d’une hyperglycémie (6,1 %), suggérant peut-être également une stratégie de désescalade thérapeutique (adaptation posologique d’emblée ou espacement des injections d’enfortumab védotin) chez les patients les plus fragiles et/ou présentant une réponse optimale sous traitement. 

Reste à savoir également comment extrapoler ces données en situation de 1re ligne, en sachant que le standard thérapeutique était jusqu’à présent une chimiothérapie à base de sels de platine et gemcitabine (quatre à six cycles) suivie d’une stratégie de maintenance par avélumab chez les patients stables ou en réponse thérapeutique. Dans l’étude EV-302, seulement 30 % des patients ont reçu un traitement de maintenance alors que 77 % y étaient théoriquement éligibiles. De plus, nous n’avons pas encore connaissance de la proportion de malades ayant eu accès à l’enfortumab védotin dans les lignes ultérieures. Enfin, se posera logiquement la question du traitement de 2e intention après progression sous enfortumab et pembrolizumab où il paraît pertinent de proposer une chimiothérapie à base de sels de platine (avec ou sans avelumab chez les patients répondeurs ?). Quoi qu’il en soit, nous disposons enfin depuis quelques semaines d’un accès précoce pour nos patients atteints d’un carcinome urothélial en 1re ligne métastatique, conformément aux recommandations internationales (Fig. 6). La révolution est en marche ! 

Figure 6 – Recommandations actualisées de l’Esmo 2024.

 

En deuxième ligne thérapeutique et au-delà

Les inhibiteurs de FGFR

À l’instar du cancer de la prostate avec les mutations de BRCA1 et BRCA2, les dernières avancées de la biologie moléculaire ont également permis un démembrement du carcinome urothélial métastatique avec la mise en évidence d’un sous-groupe d’intérêt chez les tumeurs présentant une altération d’un gène de FGFR (Fibroblast Growth Factor Receptors) présente chez environ 15 à 20 % des patients. La présence d’une altération d’un gène de FGFR (fusion, altération ou mutation) est responsable d’une dérégulation des signaux pouvant conduire à l’oncogenèse. La fréquence non négligeable de cette anomalie moléculaire en fait donc un candidat naturel pour une thérapie ciblée, grâce à l’utilisation d’inhibiteurs de FGFR évalués dans plusieurs essais thérapeutiques. 

L’erdafitinib

L’essai BLC2001

En 2019, les données de l’étude de phase II BLC2001, publiées dans le New England Journal of Medicine (8) s’intéressaient à l’efficacité et à la tolérance de l’erdafitinib chez les patients atteints d’un carcinome urothélial métastatique et porteurs d’une altération de FGFR2/3. On notait un TRO de près de 40 % et un taux de contrôle de la maladie d’environ 80 %. Les médianes de SSP et de SG étaient de 5,5 et 13,8 mois chez des malades souvent lourdement prétraités. 

Ces résultats ont naturellement conduit à l’élaboration d’une étude de phase III (THOR) avec des effectifs plus larges.

L’essai THOR

Dans cet essai thérapeutique randomisé en ouvert, les patients étaient atteints d’un carcinome urothélial métastatique avec une altération de FGFR2/3 et préalablement traités par une chimiothérapie à base de sels de platine et un anti-PD-1/PD-L1 (cohorte 1) ou uniquement par un traitement par sels de platine (cohorte 2) (Fig. 7). Ils recevaient soit un traitement par erdafitinib, soit une chimiothérapie conventionnelle au choix de l’investigateur (vinflunine ou docétaxel dans la cohorte 1) ou une immunothérapie (pembrolizumab dans la cohorte 2).

Figure 7 – THOR : design de l’étude.

Les résultats de la cohorte 1 ont été rapportés lors du congrès de l’ASCO 2023 (9). On notait un bénéfice significatif en SG avec une réduction du risque de décès de 36 % (HR = 0,64 ; IC 95 % = 0,47-0,88 ; p = 0,005) en faveur de l’erdafitinib (12,1 mois) en comparaison avec une chimiothérapie (7,8 mois) (Fig. 8). Les données de la cohorte 2 (erdafitinib versus pembrolizumab) avec des patients traités uniquement par chimiothérapie à base de platine ont également été présentées lors de l’ESMO de la même année. Cette fois, il n’a pas été constaté de bénéfice significatif en termes de SG chez les malades traités par erdafitinib par rapport à l’immunothérapie (10,9 versus 11,1 mois ; HR = 1,18 ; IC 95 % = 0,92-1,5 ; p = 0,18). Les analyses en sous-groupes ne rapportaient pas de différence en fonction du type d’altération de FGFR, de la présence de métastases viscérales ou du statut PD-L1. Il existait une tendance à l’amélioration non significative de la SSP (4,4 contre 2,7 mois). Par contre, le TRO était plutôt en faveur de l’inhibiteur de tyrosine kinase (40 contre 21,6 %) avec une durée de réponse plus courte chez les patients traités par erdafitinib (4,3 contre 14,4 mois). 

Figure 8 – THOR : données de survie globale (cohorte 1).

Ces résultats confortaient la place du pembrolizumab en situation de 2e ligne chez les patients présentant une altération du FGFR, préalablement traités par une chimiothérapie à base de platine (sans entretien par avélumab) et avec un profil de tolérance bien meilleur. L’erdafitinib, disponible actuellement dans le cadre d’un accès précoce, peut être envisagé dès la 3e ligne pour les patients ayant un état général correct. Il restera bien sûr à préciser son positionnement par rapport à l’enfortumab védotin (si celui-ci n’a pas été utilisé en 1re ligne) et les potentiels autres anticorps conjugués à un cytotoxique. 

L’essai NORSE (erdafitinib + cétrélimab)

D’autres essais thérapeutiques avec l’erdafitinib sont en cours à des stades plus précoces de la maladie (THOR-2 en situation de TVNIM ou NEOWIN en situation néoadjuvante) et/ou en association avec d’autres thérapies comme une immunothérapie avec notamment l’étude NORSE également présentée lors du congrès américain de 2023. Il s’agit d’une étude de phase II qui évaluait l’efficacité et la tolérance d’une combinaison erdafitinib et cétrélimab (un anti-PD1) (versus erdafitinib en monothérapie) chez les patients atteints d’un carcinome urothélial métastatique non éligibles à un traitement par cisplatine et porteurs d’une altération de FGFR3. Les données actualisées rapportaient un meilleur TRO (54,5 versus 44,2 %) et un bénéfice apparent en SSP (11 versus 5,6 mois) et en SG (20,8 versus 16,2 mois). 

Ces résultats soutiennent la faisabilité et l’efficacité d’une stratégie combinée même si l’effet additif de l’immunothérapie devra être confirmé sur une plus large population. 

 

Les anticorps conjugués à un cytotoxique

L’enfortumab védotin

Les derniers mois ont vu émerger plusieurs thérapies vectorisées dans le carcinome urothélial dont l’enfortumab védotin. Il s’agit d’un anticorps monoclonal dirigé contre la nectine-4 (une protéine exprimée sur de nombreuses tumeurs solides, avec une expression particulièrement uniforme sur les tumeurs vésicales) et fixé à un agent de destruction cellulaire synthétique, le monométhyl auristatine. 

L’essai EV-301

Suite aux résultats encourageants de l’étude EV-201, un essai de phase III de grande ampleur (EV-301) évaluant l’efficacité et la tolérance de l’enfortumab védotin en comparaison avec une chimiothérapie conventionnelle (paclitaxel, docétaxel ou vinflunine) a montré un gain significatif en SG et en SSP en faveur de l’anticorps conjugué à un cytotoxique chez les patients atteints d’un carcinome urothélial métastatique et préalablement traités par une chimiothérapie à base de sels de platine et une immunothérapie (anti-PD-1/PD-L1). Les données à 24 mois, présentées à l’ASCO 2022, ont consolidé ce bénéfice en SSP (5,55 versus 3,7 mois ; HR = 0,632 ; IC 95 % = 0,525-0,762 ; p < 0,00001) et en SG (12,91 versus 8,9 mois ; HR = 0,704 ; IC 95 % = 0,581-0,852 ; p = 0,00015), permettant l’octroi d’une ATU puis d’un accès précoce en France depuis juin 2022 pour l’enfortumab védotin (10). 

L’essai EV-103 (enfortumab védotin + pembrolizumab)

Les récentes données de l’étude EV-103 (cohorte K) s’intéressant cette fois à l’enfortumab védotin en association avec le pembrolizumab ou en monothérapie, chez des patients atteints d’un carcinome urothélial métastatique non éligibles au cisplatine (avec un TRO de 64,5 %, dont 10,5 % de réponse complète et une médiane de SG de 22,3 mois pour la combinaison) offraient des perspectives thérapeutiques prometteuses chez des patients souvent fragiles. 

C’est dans ce contexte que l’étude de phase III (EV-302) a évalué l’efficacité et la tolérance de l’enfortumab associé au pembrolizumab, en situation de 1re ligne métastatique, avec des résultats sans commune mesure.

Le sacituzumab govitécan

À l’instar de l’enfortumab védotin, le sacituzumab govitécan est en cours d’exploration dans le carcinome urothélial. Il s’agit également d’un anticorps monoclonal couplé au SN-38, un inhibiteur de la topo-isomérase, par un agent de liaison hydrolysable (CL2A) et dirigé contre Trop-2, un antigène épithélial de surface cellulaire surexprimé dans divers carcinomes, y compris les carcinomes urothéliaux. Cette thérapie innovante bénéficie déjà d’une AMM pour la prise en charge des patients atteints de cancer du sein triple négatif ou hormono-dépendant métastatique ayant déjà reçu au moins deux lignes de traitements systémiques, dont au moins un pour une forme avancée de la maladie, suite aux résultats remarquables des études de phase III ASCENT et TROPiCS-02.

L’essai IMMU-132-01

Les données de l’étude de basket IMMU-132-01, qui évaluait l’utilisation du sacituzumab govitécan dans plusieurs cancers épithéliaux métastatiques avancés en rechute ou réfractaires, ont montré un signal encourageant concernant le carcinome urothélial. En effet, parmi les 45 patients atteints d’un carcinome urothélial métastatique et inclus dans cet essai de phase I/II, on notait un TRO de 31 % (14 patients sur 45). 

L’essai TROPHY-U-01

Dans les suites, une étude spécifique de phase II (TROPHY-U-01) a été conduite avec plusieurs cohortes de patients atteints de cancer de la vessie métastatique :

• cohorte 1 : patients en progression après une chimiothérapie à base de sels de platine et une immunothérapie, recevant un traitement par sacituzumab govitécan ;

• cohorte 2 : patients inéligibles au cisplatine et en progression après une immunothérapie, recevant également l’anticorps conjugué en monothérapie ;

• cohorte 3 : patients en progression après une chimiothérapie et immuno-naïfs, recevant cette fois un traitement par sacituzumab govitécan associé au pembrolizumab ;

• cohorte 4 : patients en situation de 1re ligne métastatique avec sacituzumab govitécan associé au cisplatine.

Les résultats de la cohorte 1 ont été présentés lors de l’ESMO 2020 montrant un TRO de 27 % (dont 5 % de réponse complète) et une médiane de SG de 11 mois environ chez des patients parfois très lourdement prétraités (la moitié des malades avait reçu au moins trois lignes de traitement). Concernant le profil de tolérance, on notait surtout une toxicité essentiellement digestive avec des diarrhées (65 % tous grades, dont 9 % de grade ≥ 3) ou des nausées/vomissements et une toxicité médullaire avec 22 % de neutropénie grade ≥ 3 qui imposera l’utilisation probable de G-CSF en systématique (11). 

L’analyse principale de la cohorte 2 confirme les signaux encourageants d’efficacité en faveur du sacituzumab govitécan chez les patients atteints d’un carcinome urothélial de la vessie et prétraités par une immunothérapie. Les effectifs de ces différentes cohortes restent faibles et la tolérance du traitement est plutôt moyenne chez des patients potentiellement fragiles. 

L’essai TROPiCS-04

Ces données prometteuses ont naturellement incité au développement d’un essai de phase III (TROPiCS-04) évaluant l’efficacité et la tolérance du sacituzumab govitécan en comparaison avec une chimiothérapie au choix du prescripteur (docétaxel, paclitaxel ou vinflunine) chez des patients prétraités par un sel de platine et une immunothérapie (Fig. 9). 

Figure 9 – TROPiCS-04 : design de l’étude.

Cet essai thérapeutique pouvait potentiellement conduire à un changement thérapeutique. Malheureusement, l’utilisation du sacituzumab govitécan en phase métastatique a récemment pris du plomb dans l’aile suite aux résultats annoncés négatifs de l’étude TROPiCS-04 sur un press released. La rédemption viendra peut-être des associations médicamenteuses avec une immunothérapie en traitement néoadjuvant (SURE-2) ou en 1re ligne métastatique associé à une immunothérapie (TROPHY-U-01).

Plus récemment, les données de la cohorte 3 de l’étude TROPHY-U-01 ont été présentées avec des patients recevant le sacituzumab govitécan associé au pembrolizumab, en progression après un sel de platine. L’analyse préliminaire concernant 41 malades retrouvait des résultats encourageants avec 34 % de réponse objective, un taux de SSP à 6 mois de 47 % et une médiane de SSP de 5,5 mois, soutenant la faisabilité et l’efficacité d’une combinaison avec une immunothérapie (12). Des cohortes supplémentaires de l’étude TROPHY-U-01 sont actuellement ouvertes aux inclusions, évaluant cet anticorps conjugué à un cytotoxique en 1re ligne métastatique en stratégie de maintenance avec l’avélumab (cohorte 5) ou avec plusieurs immunothérapies chez les patients non éligibles au cisplatine (cohorte 6).

Le trastuzumab

Depuis 2005, le ciblage direct du récepteur HER2 a considérablement bouleversé la prise en charge des patients atteints d’un cancer du sein HER2+, que ce soit à un stade précoce ou avancé de la maladie. Dans ce cadre, le trastuzumab (Herceptin®) représente la clé de voûte de la prise en charge de ces cancers du sein. La dernière décennie a été marquée par l’apparition de nouvelles molécules ciblant le récepteur HER2 avec le lapatanib et le pertuzumab, d’une part, qui permettent une meilleure inhibition de la cible selon un concept de double blocage et, d’autre part, les anticorps drogue-conjugués comme le T-DM1 ou tout récemment le trastuzumab déruxtécan (Enhertu®) qui libèrent directement l’agent cytotoxique au niveau des cellules exprimant HER2. Ce modèle de ciblage d’HER2, validé dans les cancers du sein, semble à présent s’étendre à d’autres pathologies comme le cancer de la vessie métastatique. Il existe un pourcentage significatif de tumeurs urothéliales (10 à 20 %) présentant une surexpression HER2 ou une amplification d’HER2, également associées à un comportement biologique agressif et à un mauvais pronostic clinique. L’utilisation du trastuzumab emtansine et du trastuzumab duocarmazine a permis d’obtenir des résultats intéressants dans plusieurs essais cliniques multi-tumeurs, avec des taux de réponse supérieurs à 25 % chez les patients lourdement prétraités atteints de tumeurs urothéliales. 

Le disitamab védotin

Récemment, un autre anticorps, le disitamab védotin (RC48-ADC), a montré des résultats impressionnants dans une étude de phase II (RC48-C005) incluant des patients atteints d’un carcinome urothélial HER2+ (IHC 3+ ou FISH+) avec un TRO de 50,5 % et un taux de contrôle de la maladie de 82,2 % (Fig. 10). Les médianes de SSP et de SG étaient de 5,9 et 14,8 mois chez des malades ayant reçu pour la plupart plus de deux lignes thérapeutiques ou plus (13). Le disatamab a également été évalué dans une petite cohorte de patients (RC48-C009) avec un cancer HER2- (0/1+) avec un taux de contrôle intéressant (ORR à 38 %) chez les patients HER2low. Enfin, cet anticorps a été testé en association avec le toripalimab (anti-PD-1) avec des données très prometteuses (ORR à 71,8 %), notamment chez les malades porteurs d’une tumeur HER2+ et PD-L1 + (TRO de 100 % !), suggérant un effet synergique des ADC et des inhibiteurs de checkpoints immunitaires (14). 

Figure 10 – RC48-C005 : taux de réponse objective (phase II). 

Ces résultats soutiennent la mise en place d’essais cliniques randomisés de plus grande ampleur dans les prochains mois, en particulier à un stade plus précoce de la maladie, notamment en association avec une immunothérapie (étude DV-001).

Le trastuzumab déruxtécan

L’essai DESTINY-PanTumor02

Le trastuzumab déruxtécan, véritable blockbuster révolutionnant la prise en charge de nos patientes atteintes d’un cancer du sein HER2+ et HER2low, a récemment été évalué dans plusieurs études basket (DESTINY-PanTumor02) pour des tumeurs solides métastatiques exprimant HER2, y compris chez une cohorte de patients atteints de carcinome urothélial métastatique. Cet essai a démontré un signal d’efficacité prometteur (en termes de TRO, de SSP et de SG) et un profil d’innocuité acceptable chez des patients parfois lourdement prétraités, avec un bénéfice plus important pour une population surexprimant HER2 (IHC 3+), confirmant l’essor agnostique du trastuzumab déruxtécan, indépendamment du type de cancer (15). 

L’essai DS8201-a-U105 (trastuzumab déruxtécan + nivolumab)

Cet anticorps conjugué a également été évalué dans une récente étude de phase IB/II (DS8201-a-U105) dont les premières données ont été présentées dernièrement. Deux cohortes s’intéressaient à l’utilisation de cet anticorps conjugué en association avec du nivolumab chez des patients atteints d’un carcinome urothélial métastatique avec une forte expression d’HER2 (3+ ou 2+) (cohorte 3) ou HER2low (0 ou 1+) (cohorte 4) (16). Là encore, les résultats préliminaires étaient remarquables, notamment dans la cohorte 3, avec un TRO de 36,7 % (dont 13,3 % de réponse complète) et des médianes de SSP et SG de 6,9 et 11 mois respectivement. Le profil de tolérance (taux de grade ≥ 3 de 73,5 et 32 % d’arrêts pour toxicité) devra inciter à la prudence chez les patients les plus fragiles si cette combinaison prometteuse est validée dans le futur. 

Des recherches supplémentaires seront nécessaires pour comprendre les mécanismes moléculaires de la progression de la maladie et de la résistance aux anticorps conjugués afin de permettre le développement de thérapies hautement spécifiques qui pourraient encore améliorer le bénéfice clinique des patients dans le carcinome urothélial. 

Les combinaisons

L’avenir reposera peut-être sur des combinaisons de ces thérapies couplées à un cytotoxique. L’enfortumab védotin et le sacituzumab govitécan ont été évalués ensemble dans une étude de phase I (DAD) avec des données préliminaires présentées à l’ESMO 2023. Parmi les 24 patients recrutés (dont 22 ayant reçu ≥ deux lignes de traitement), on notait un TRO de 71 % avec deux réponses complètes et 13 réponses partielles avec réponse durable (avec un suivi médian de 14,9 mois, neuf patients étaient toujours répondeurs). 70 % des patients ont présenté des événements indésirables de grade ≥ 3 avec une toxicité semblant gérable à court terme, sous réserve d’une évaluation plus large et de l’utilisation systématique de G-CSF. 

La question sera bien sûr de savoir comment positionner ces associations d’anticorps conjugués dans la séquence thérapeutique et pour quels malades. Un triplet avec une immunothérapie est à l’étude (DAD-IO) et viendra peut-être encore bouleverser la prise en charge thérapeutique de nos malades dont le pronostic se trouve désormais significativement amélioré.

L’auteur déclare avoir reçu des honoraires en tant que consultant ou conférencier de la part de BMS, Sanofi, Ipsen, Janssen, Pfizer, Bayer, Novartis, Eisai, MSD, Astellas, Merck et AstraZeneca.

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