Pr Sophie Jacquin-Courtois
Médecin de médecine physique et de réadaptation, Hospices civils de Lyon
Quand et comment ?
Ces troubles sont fréquents. On en évalue la prévalence à peu près entre un quart et un tiers des patients, quel que soit le moment de leur parcours de soins. Ils sont souvent un peu plus marqués à la phase initiale, notamment pendant la chimiothérapie, mais ils peuvent vraiment persister de façon durable à distance de l’arrêt des traitements, jusqu’à 1 an, 2 ans, 5 ans, voire 10 ans après.
Quelles manifestations ?
Ces troubles sont subtils, discrets. Ils se manifestent par exemple par des difficultés à maintenir son attention, sa concentration, l’incapacité à lire un livre, l’incapacité à suivre une conversation à plusieurs, à être dans l’interaction, l’incapacité à réaliser deux tâches en même temps ou à passer d’une tâche à une autre. Il y a souvent une plainte de mémoire ou de chercher ces mots régulièrement, d’avoir l’impression de ne pas être fluide dans son raisonnement, une forme de fatigue et de fatigabilité cognitive qui s’exprime par un surcoût, un effort permanent nécessaire pour arriver à réaliser des tâches qui étaient faites de façon beaucoup plus fluide auparavant.
Quels mécanismes ?
Pendant assez longtemps, on a cru que c’était surtout les facteurs de fatigue physique ou d’anxiété ou de baisse de moral, qui étaient tout à fait légitimement présentes, qui expliquaient cette plainte cognitive. On sait maintenant, il y a des mécanismes, qui ont été bien identifiés, à la fois liés au cancer et à son caractère pro-inflammatoire, à la fois systémiques, mais aussi à un élément de neuro-inflammation. Et puis les effets secondaires des traitements, avec bien sûr la chimiothérapie au premier plan, qui vient modifier à la fois la neurogenèse, mais aussi la capacité de neurotransmission qui crée du stress oxydatif, qui crée de l’inflammation avec la microglie. Mais les autres thérapeutiques ne sont pas en reste et induisent des difficultés cognitives par d’autres mécanismes, que ce soit l’hormonothérapie, l’immunothérapie ou les thérapies ciblées.
En pratique ?
Il est donc important de poser la question à ces patients : « est-ce que vous êtes gênés sur le plan cognitif ? Qu’est-ce que vous arrivez à moins bien faire dans votre quotidien ? »
Souvent, cette plainte, elle va émerger spontanément au moment de la reprise des rôles occupationnel : quand on est moins fatigué, quand on a moins de douleurs et qu’on reprend des activités sociales personnelles et qu’on se projette dans la reprise professionnelle où il y a une vraie perception de ces difficultés d’attention, concentration et double tâche.
Quelle prise en charge ?
Le premier élément dans la prise en charge, c’est de légitimer cette plainte et d’expliquer que c’est normal, c’est habituel, c’est un tiers à un quart des patients, avec ces mécanismes complexes auxquels s’associent d’autres symptômes qui peuvent participer à l’expression de la gêne et sur lesquels on peut jouer (la fatigue physique, la qualité du sommeil, les éléments douloureux, les éléments de stress, d’anxiété), qui peuvent bénéficier d’une prise en charge pour eux-mêmes et qui vont atténuer cette impression de charge cognitive. Et puis ensuite, il n’y a pas de consensus sur les propositions à faire, mais les données de la littérature montrent que l’association à la fois d’une stimulation cognitive, qui peut passer par les activités de vie quotidienne, par des plateformes dédiées, par des exercices sous un format plutôt ludique et surtout de l’activité physique adaptée qui, par des mécanismes complémentaires, va venir solliciter, favoriser la neurogenèse notamment.
Le message clé
Prêter attention à l’expression de cette gêne et de cette plainte, donner des éléments psycho-éducatifs de réassurance et de gestion du quotidien, qui peuvent déjà atténuer le retentissement de ces troubles et ensuite promouvoir à la fois un environnement cognitif un peu riche et la reprise d’une activité physique adaptée.
