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La parole empêchée en cancérologie – Réflexions d’un cancérologue retraité

Résumé

La médecine est un art qui guérit et fait vivre. Certains ont pu croire qu’elle permettrait l’immortalité. Si les progrès ont été considérables, force est de constater qu’en cancérologie, un malade sur deux ne guérira pas, malgré la mise en œuvre de traitements souvent lourds.

La maladie cancéreuse mobilise une trilogie constituée par le malade, l’équipe médicale qui le prend en charge et l’entourage. L’évaluation du stade initial, le potentiel évolutif et le pronostic, la toxicité des traitements et l’information qui doit ou ne doit pas être dite peuvent être l’enjeu de discussions entre les trois intervenants. Entre le « rien dire » et le « tout dire », entre maintenir le malade, pour le “protéger”, dans le silence, au risque de l’obliger à vivre seul dans l’isolement ce qu’il est contraint de subir, ou le forcer à entendre une vérité qui risque d’aggraver son état, quelle attitude adopter ?

Dans cet article, nous exposerons :

• les obligations légales que doit respecter le médecin dans l’annonce du diagnostic : serment d’Hippocrate, charte du patient hospitalisé ;

• les moyens devant être mis en œuvre pour la prise en charge d’un malade atteint d’un cancer : dispositif d’annonce, appartenance à un réseau de cancérologie permettant l’accès aux soins de support et notamment le traitement de la douleur ;

• les techniques d’annonce des mauvaises nouvelles ;

• l’importance des canaux non verbaux : gestes, regards, silence, écriture, arts graphiques ;

• l’utilité des traitements complémentaires : hypnose, méditation-yoga, acupuncture, homéopathie…

« Sans doute pour que tout puisse apparaître faut-il que tout ne soit pas dit. » Et si, en définitive, tout a pu être dit, c’est souvent parce que l’évolution de la maladie a permis au malade et aux différents intervenants de se connaître et de se faire confiance.

Abstract 

Prevented speech

Medicine is an art that heals and brings life. Some may have believed that it would allow immortality. Although progress has been considerable, it is clear that in oncology, one in two patients will not be cured, despite the implementation of often heavy treatments. Cancer involves a trilogy made up of the patient, the medical team caring for them and those around them. The evaluation of the initial stage, the evolutionary potential and the prognosis, the toxicity of the treatments and the information which must or must not be said can be the issue of discussions between the three speakers. Between “saying nothing” and “saying everything”, between keeping the patient, to “protect” him, in silence at the risk of forcing him to live alone in isolation what he is forced to endure or forcing people to hear a truth that risks making their condition worse, what attitude should they adopt? In this article, we will present: 

• the legal obligations that the doctor must respect when announcing the diagnosis: Hippocratic oath, hospitalized patient charter;

• the means to be implemented for the care of a patient suffering from cancer: notification system, membership in a cancer network allowing access to supportive care and in particular pain treatment;

• techniques for breaking bad news;

• the importance of non-verbal channels: gestures, looks, silence, writing, graphic art;

• the usefulness of complementary treatments: hypnosis, meditation-yoga, acupuncture, homeopathy, etc. 

« No doubt in order for everything to appear, everything must not be said ». And if, in the end, everything could be said, it is often because the progression of the illness allowed the patient and the different stakeholders to know and trust each other.

Introduction

La maladie cancéreuse est immortelle

La médecine est un art qui guérit et fait vivre. Toutefois, malgré des progrès considérables, force est de constater qu’en cancérologie, un malade sur deux ne guérit pas, malgré la mise en œuvre de traitements souvent agressifs. Et 25 % des malades considérés après traitement en rémission complète, c’est-à-dire sans maladie apparente, rechutent.

La maladie cancéreuse a la particularité d’être “immortelle”. La guérison spontanée, sans traitement, n’existe pas. Son évolution se fait schématiquement en trois phases : 

• la phase curative qui espère guérir, 

• la phase palliative qui vise à contenir la maladie le plus longtemps possible sans objectif de guérison 

• et la phase des soins palliatifs où les traitements spécifiques sont arrêtés et seuls les soins de confort poursuivis.

Les acteurs et leurs relations

Trois acteurs vont intervenir dans le combat contre la maladie : le malade, le médecin et l’entourage du malade.

• Le médecin veut soigner, mais il a parfois du mal à s’exprimer et à se faire comprendre.

• Le malade veut guérir, mais il a souvent du mal à entendre la réalité.

• L’entourage veut protéger, mais il a parfois envie de dissimuler ou mentir.

Avant la mise en œuvre des droits du malade, la relation médecin, malade et entourage était assez simple. Le médecin décidait et traitait. Le malade subissait. L’entourage prenait le relais en fin de vie avec le médecin de famille et les officiers des cultes religieux. Le développement de l’information, la définition des droits du malade, la diminution de la place du médecin de famille et la prise en charge de plus en plus hospitalière, le déclin de l’influence des cultes religieux ont modifié ces relations.

Désormais, le diagnostic, le potentiel évolutif de la maladie et donc son pronostic, le bénéfice attendu grâce au traitement, mais aussi sa toxicité, peuvent être l’enjeu de discussions et réflexions entre les trois intervenants. L’incertitude médicale est de plus constamment présente, rendant la lecture de l’avenir difficile. 

La parole empêchée

Ainsi, entre maintenir le malade dans le silence pour le protéger, au risque de l’obliger à vivre seul dans l’isolement ce qu’il est contraint de subir ou lui imposer d’entendre une vérité qu’il refuse et risque d’aggraver son état, se situe le champ de la parole empêchée. Elle est ce que l’on ne peut pas ou ne veut pas se dire ou que l’on va dire de façon incomplète ou détournée (1). Elle est souvent présente en cancérologie, car c’est trop difficile de dire ce qui fait peur et parce que c’est compliqué d’expliquer ce dont on ne connaît pas l’évolution. Elle évolue souvent dans le temps. Ne pas tout dire tout de suite permet au médecin de dire quand il le pourra et au malade d’entendre quand il le voudra. Car finalement l’objectif du traitement est souvent de se concentrer sur les moyens à mettre en œuvre pour prolonger la vie dans les meilleures conditions possibles en acceptant que cette maladie reste présente jusqu’au bout de la vie.

Deux exemples

• En France, des mots sont évités. On ne meurt pas d’un cancer, mais d’une longue maladie. On ne consulte pas un cancérologue, mais un oncologue. Les services de cancérologie sont rarement identifiés dans les hôpitaux comme tels. Le mot guérison est souvent remplacé par le terme rémission, ce qui maintient le malade dans une incertitude difficile à vivre, mais permet au médecin de ne pas se tromper, puisque l’hypothèse de la rechute est préservée. Le mot cancer est souvent, au moins au début, remplacé par d’autres termes : pré-cancer, polype, petit cancer.

• Aux États-Unis, une étude portant sur 1 200 malades porteurs d’un cancer du poumon métastatique montre que 70 % d’entre eux n’ont pas compris que le traitement qui leur est appliqué est palliatif. Les malades sont persuadés de l’efficacité de la chimiothérapie comme traitement susceptible d’entraîner la guérison (2).

Dans cet article, nous développerons :

• les obligations que doit respecter le médecin dans l’annonce du diagnostic et du pronostic : serment d’Hippocrate, charte du patient hospitalisé, loi Leonetti, loi Huriet ;

• les moyens devant être mis en œuvre pour la prise en charge d’un patient atteint d’un cancer : adhésion à un réseau de cancérologie, permettant la mise en place du dispositif d’annonce, l’accès aux soins de support et à un traitement efficace de la douleur ;

• les techniques d’annonce des mauvaises nouvelles ;

• l’importance des canaux non verbaux : gestes, regards, silence, écriture et arts graphiques ;

• l’utilité des traitements complémentaires : hypnose, yoga et méditation, acupuncture, homéopathie.

 

Les obligations du médecin 

La parole empêchée est en effet très encadrée en cancérologie. Le médecin doit au malade une information honnête sur son état de santé.

Le serment d’Hippocrate

Le serment d’Hippocrate (serment médical) énonce les principes suivants :

• « Je respecterai toutes les personnes, leur autonomie et leur volonté »,

• « J’interviendrai pour les protéger si elles sont affaiblies, vulnérables ou menacées dans leur intégrité ou leur dignité »,

• « J’informerai les patients des décisions envisagées, de leurs raisons et de leurs conséquences. Je ne tromperai jamais leur confiance »,

• « Je tairai les secrets qui me sont confiés ».

Le serment médical fixe donc d’emblée les principes essentiels de la relation qui s’instaure entre le médecin et le malade : respect et protection des personnes, information, confiance et secret médical. Ces principes permettent l’instauration d’une relation thérapeutique soutenante, favorisant le maintien d’un espoir adapté.

La charte de la personne hospitalisée

La charte de la personne hospitalisée, publiée par la circulaire du 2 mars 2006, précise que :

• toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé, mais la volonté d’une personne de ne pas être informée du diagnostic ou du pronostic doit être respectée, sauf si son état de santé présente des risques de transmission à des tiers ;

• l’information médicale ne doit pas être divulguée à des tiers, sauf si la personne malade a donné son accord et désigné une personne de confiance ;

• le consentement libre et éclairé de la personne malade doit être obtenu avant tout acte médical ou paramédical ;

• le malade ou la personne de confiance désignée par le malade a le droit d’accéder au dossier médical ;

• la prise en charge de la douleur doit être efficace ;

• le malade doit avoir une vie digne jusqu’à sa mort.

Cette circulaire ajoute au serment médical les notions de personne de confiance, d’accès au dossier médical, de traitement efficace de la douleur et de dignité de la vie jusqu’à la mort. Ces notions sont essentielles et susceptibles de favoriser les échanges entre l’équipe soignante et le malade. Elles instaurent une relation équilibrée et favorisent la levée de la parole empêchée. 

La loi Leonetti

La loi Leonetti, relative aux patients en fin de vie, a été publiée en avril 2005 et précisée en février 2006. Cette loi a recherché une solution éthique à l’encadrement juridique de la relation entre le médecin et le malade en fin de vie. Elle a rendu possible le “laisser mourir”. Les points essentiels de cette loi sont les suivants.

• Toute obstination déraisonnable est interdite, l’acharnement thérapeutique étant condamné par la loi. 

• Le droit du malade atteint d’une maladie grave et incurable est renforcé. Il peut décider de limiter ou arrêter les traitements. Il peut rédiger des directives anticipées et désigner une personne de confiance, qui devront être consultées par le médecin, notamment si la conscience ou le discernement du malade sont altérés. 

• Si le médecin constate qu’il ne peut soulager la souffrance du malade qu’au prix de traitements qui pourraient abréger sa vie, il est autorisé à le faire, après en avoir informé le malade ou sa personne de confiance.

Ainsi, la loi Leonetti interdit l’acharnement thérapeutique, souligne l’importance de la rédaction des directives anticipées et autorise le recours à des thérapeutiques sédatives en fin de vie si la souffrance physique et psychique du malade le nécessite. 

L’équipe médicale doit se questionner jour après jour, en lien avec le malade et sa personne de confiance, pour décider de la prise en charge la plus adaptée possible. Ensemble, ils doivent réfléchir au côté utile ou non, proportionné ou non, des traitements et actes diagnostics proposés, pour rester dans une médecine raisonnable. Le malade, informé de ces pratiques, aura confiance en son médecin et pourra exprimer ses souhaits et ainsi repousser la parole empêchée.

La loi Huriet

La loi Huriet a été publiée le
20 décembre 1988. Elle stipule clairement que le consentement de la personne sur qui sont effectuées des recherches doit être recueilli, après que le médecin lui a fait connaître l’objectif de cette recherche et les bénéfices attendus. Le consentement doit être écrit. Le protocole de recherche doit obtenir, avant de débuter, un avis favorable du Comité de protection des personnes.

 

Les réseaux de cancérologie

Pour permettre “aux acteurs” du drame qui se joue de limiter les conséquences de la parole empêchée, permettant ainsi son ouverture, des moyens existent.

Tout médecin souhaitant bénéficier de l’autorisation de traiter le cancer doit être adhérent d’un réseau de cancérologie. Dans chaque région de France existe un réseau régional de cancérologie qui :

• met à la disposition des professionnels de santé les protocoles de soins validés, 

• permet la discussion des dossiers difficiles, 

• organise des formations 

• et favorise la mise en place de protocoles de recherche. 

Les régions sont découpées en secteurs. Chaque secteur est doté d’un “réseau local”, le plus souvent centré sur les établissements autorisés à prendre en charge les malades atteints de cancer. Chaque établissement n’est pas forcément autorisé à traiter tous les types de cancers. Mais le secteur a une offre de soins complémentaire. Le réseau de secteur n’est pas un réseau de soins, mais il organise la prise en charge des malades cancéreux en favorisant le dispositif d’annonce, les réunions de concertation, le plan personnalisé de soins, l’accès aux soins complémentaires d’accompagnement.

Le dispositif d’annonce

Il vise à offrir aux malades les meilleures conditions d’information, d’écoute et de soutien. Il s’articule autour de quatre temps :

• un temps médical : l’annonce du diagnostic et la proposition de traitement ;

• un temps d’accompagnement paramédical, qui complète les informations médicales, informe le patient sur les associations de patients existantes ;

• un temps de soutien fondé sur l’accompagnement social et l’accès aux soins complémentaires (psychologue, kinésithérapeute, assistante sociale…) ;

• un temps d’articulation avec la médecine de ville pour optimiser la coordination entre l’établissement de soins et le médecin traitant.

Les réunions de concertation pluridisciplinaire et le respect des référentiels de bonne pratique

Chaque dossier de malade est discuté par au moins trois spécialistes de spécialité différente, avec l’accord préalable du malade, lors de la réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP), organisée dans chaque spécialité. Une proposition de traitement est définie, reposant sur les référentiels de bonne pratique médicale. Un compte-rendu est établi, intégré dans le dossier du malade et transmis au médecin traitant.

Le plan personnalisé de soins

Le plan personnalisé de soins est alors rédigé par le médecin cancérologue. Il reprend les différentes étapes de la prise en charge. Il s’agit d’un calendrier des soins. Il est expliqué et transmis au malade ainsi qu’à son médecin traitant. Il doit également préciser les effets secondaires des traitements.

L’accès aux soins complémentaires d’accompagnement

L’accès aux soins complémentaires d’accompagnement est en théorie possible à tout stade de la maladie. Les besoins du malade en soins de support sont évalués dès l’annonce de la maladie et tout au long du suivi. Ils visent à améliorer la qualité de vie et le confort des malades. Ils se justifient quel que soit le stade d’évolution de la maladie.

 

Pourquoi la parole reste-t-elle empêchée ?

Les contraintes des dispositions légales ayant été rappelées, nous allons maintenant exposer les raisons qui expliquent que la parole du malade, puis du médecin et de l’entourage puisse rester empêchée.

Du côté du patient

La persistance d’une barrière sociale entre le médecin et le malade ainsi que la crainte de l’autorité médicale sont encore très présentes. L’émotion suscitée par cette annonce parfois inattendue, souvent brutale, peut être sidérante. Enfin, le refus de dire pour ne pas être contraint de prendre conscience autorise le refuge dans le non-dit. Ainsi, le malade n’a pas à affronter une réalité hostile et n’a pas à entendre des réponses redoutées. La peur explique l’empêchement de la parole. Le malade a peur de subir une dégradation de son être, a peur d’affronter les conséquences physiques et psychologiques des traitements, du retentissement social, économique et familial et en définitive a peur de la mort.

Du côté du médecin

Du côté médical, il est assez courant de banaliser les maladies, au point de parfois les réduire au seul organe. On peut ainsi entendre : « j’ai examiné un pancréas ». Le malade réduit à l’organe ne peut alors être entendu puisqu’on ne converse pas avec un organe. Les médecins ont aussi parfois la certitude que le profane, qui ne connaît rien à la médecine, ne pourra pas comprendre une prise en charge complexe, faisant appel à une haute technicité. Alors, pourquoi expliquer ? Le milieu médical reste par ailleurs très conservateur et facilement enclin à proposer une vision moralisatrice à la société. Finalement, si le malade est atteint par cette maladie, peut-être paie-t-il des excès répétés. Est-ce si injuste ? Enfin, les médecins et la plupart des personnels médicaux sont de façon permanente en manque de temps. Or établir un lien, écouter, expliquer, guider le malade et son entourage pour que la réflexion mûrisse, rassurer est très chronophage et peu valorisé. Et finalement, le médecin comme le malade a peur. Il a peur de subir des reproches, car le messager des mauvaises nouvelles est un mauvais homme. Il a peur de l’échec thérapeutique et ainsi de se dévaloriser. Enfin, il a peur d’exprimer ses propres sentiments et peur de sa propre mort.

Du côté de l’entourage

Pour qu’une relation confiante puisse s’établir, préalable indispensable à la levée de la parole empêchée, l’entourage doit être convaincu par la démarche pour devenir aidant. Les proches peuvent estimer que la vérité est irrecevable par le malade. Ils peuvent ainsi, en insistant pour ne pas dire, penser protéger le malade. C’est souvent un calcul à court terme, car le malade finira par se rendre compte qu’il est exclu de la vérité. Cette demande de l’entourage s’inscrit souvent dans la prolongation d’un état de non-communication ou d’infantilisation installé de longue date. 

 

Progresser dans la levée de la parole empêchée 

Si la parole empêchée en cancérologie est souvent présente au début du parcours de soins, elle s’atténue fréquemment progressivement pendant le parcours de soins et parfois disparaît.

Donner des informations

Dès les premières rencontres, il faut éviter le mensonge pour ne pas installer la relation dans l’ambiguïté. Il faut également préférer donner des informations plutôt que la vérité. Car l’information peut être graduée et adaptée, alors que la vérité répond à une loi du tout ou rien et, en fait, reste inconnue. Il est indispensable d’adopter une attitude ouverte. Le malade perçoit alors dès le premier contact que toute interrogation de sa part recevra une réponse honnête. Il devient alors “le maître du jeu” et peut poser les questions qu’il veut, au moment où il jugera que cela est opportun.

Les techniques d’annonce des mauvaises nouvelles

L’apport et la maîtrise des techniques d’annonce des mauvaises nouvelles sont essentiels. Robert Buckman a défini ces techniques d’annonce dans son livre publié en 2001 : S’assoir pour parler (3).

Une mauvaise nouvelle est une nouvelle qui modifie radicalement et négativement l’idée qu’une personne se fait de son avenir. Le médecin doit paraître à l’aise et ne pas donner une impression de gêne. L’écoute est essentielle. Le médecin et le malade doivent être assis avec les yeux au même niveau pour ne pas instituer de relation de supériorité. Il faut éviter d’être dérangé par le téléphone pour se consacrer totalement à ce moment. Il faut savoir ce que le malade sait de sa maladie, connaître ses antécédents personnels et familiaux. Si des personnes ont déjà été atteintes de cancer dans leur famille ou leur entourage et, a fortiori si ces personnes en sont décédées, la peur du malade qui s’identifie à ses proches sera encore plus importante. Il doit éviter le vocabulaire médical compliqué, éviter d’être condescendant ou de porter des jugements de valeur, reformuler pour s’assurer de la compréhension. Il faut admettre les moments de silence qui permette la réflexion. Il ne faut pas être agressif, même si le malade l’est (traduction de sa peur et de son angoisse). Il ne faut pas non plus être trop rassurant et rester réaliste. Le médecin doit demander l’accord du malade pour communiquer des informations à des tiers. Le malade déterminera les personnes qu’il souhaite voir informées. L’idéal est qu’il désigne une personne de confiance qui sera l’interlocuteur privilégié et servira de relais d’informations.

Les canaux non verbaux

Pour progresser dans la levée de la parole empêchée, le recours aux canaux non verbaux est souvent utile. 

• Ainsi, le regard est essentiel. En fin de vie, Maurice Abiven écrit dans son livre Pour une mort plus humaine, publié en 1990, que les psychologues assurent que près de 50 % de l’information est acquise par le malade par l’échange des regards (4). Il est donc essentiel de ne pas fuir le regard du malade.

• Les gestes prodigués au malade par l’équipe médicale, les proches ou les bénévoles intervenant dans les unités de soins palliatifs sont apaisants et générateurs de liens. Le rôle des infirmiers, aides-
soignants et kinésithérapeutes est capital pour le bien-être du malade. Les massages restaurent le malade dans son intégrité et lui rendent confiance.

• Le silence est nécessaire. Il permet l’écoute. Écoute de soi et de sa parole intérieure. Mais aussi écoute de l’autre. En respectant le silence du malade, on l’autorise à parler quand il le souhaite.

• L’écriture peut être utile.

• Le dessin est également un moyen de transmettre ses émotions, ses états d’âme, son sentiment de bien-être ou de tristesse.

Les médecines non traditionnelles

Si la médecine allopathique est peu ouverte aux pratiques non enseignées par la faculté, il faut cependant reconnaître l’apport que peuvent prodiguer les médecines “non traditionnelles” et les techniques non médicales pour aider à lever la parole empêchée. En permettant au malade de se réapproprier son corps, en l’apaisant, en l’acceptant tel qu’il est dans la réalité, ces pratiques sont d’un grand intérêt. L’acupuncture, l’hypnose, la sophrologie, le yoga et la méditation sont de plus en plus utilisés. Au même titre que le traitement efficace de la douleur, ces pratiques contribuent à la levée de la parole empêchée, condition essentielle pour une prise en charge de qualité.

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt en relation avec cet article.

Bibliographie

1. James-Raoul D, Forero Mendoza S, Kuon P,  Magne E. Etudes littéraires françaises. La parole empêchée. Tubingen : Narr Francke Attempto, 2017.

2. Weeks JC, Catalano PJ, Cronin A et al. Patients expectations about effects of chemotherapy for advanced cancer. N Engl J Med 2012 ; 367 : 1616-25.

3. Buckman R. S’assoir pour parler. Paris : Masson, 2001.

4. Abiven M. Pour une mort plus humaine. Paris : Inter-Editions, 1990.