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Fresenius Replay 2024
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Inactivité physique et sédentarité – Quels effets sur la santé ?

Les effets positifs de l’activité physique sur la santé sont aujourd’hui relativement bien assimilés par la population. À l’inverse, l’inactivité physique et la sédentarité ont des effets néfastes, bien moins connus, des professionnels de santé, mais surtout du grand public. Le Pr François Carré nous explique ces risques et effets et précise en quoi l’organisation d’une véritable prévention, assez simple à mettre en place avec une politique volontariste, pourrait limiter l’explosion du nombre de malades chroniques à venir. 

Quels sont les risques sanitaires de l’inactivité physique et de la sédentarité sur la santé ? 

Les physiologistes de l’exercice musculaire se sont longtemps focalisés sur les risques de l’inactivité physique. Il est prouvé depuis les années 1950 que ne pas bouger suffisamment est délétère pour la santé et les premières recommandations de l’OMS se limitaient à l’inactivité physique. Puis, progressivement, dans les années 2000 à 2010, les effets délétères de la sédentarité indépendants de ceux de l’inactivité physique ont été démontrés. On peut ainsi être actif-sédentaire ou inactif-sédentaire, qui est le mode de vie le plus à risque. Pour compenser les effets délétères d’une sédentarité journalière de 8 à 10 h par jour, il faut faire entre 1 h 30 et 2 h d’activité physique chaque jour. Il est bien montré que les personnes les plus sédentaires au travail le sont également le week-end et durant les vacances. C’est ce que j’appelle “l’addiction à la chaise”. 

Si la population a assez bien assimilé que “le sport” était bon pour la santé, elle n’a pas compris que le fait de ne pas faire d’activité physique (AP) et/ou d’être trop sédentaire était dangereux pour la santé. D’ailleurs, nombre de professionnels du monde médical et paramédical n’en sont toujours pas convaincus. Pour exemple, tous ces professionnels posent bien la question à leurs patients « Est-ce que vous fumez ? », mais pratiquement aucun ne leur demande « Bougez-vous ? », « Combien de temps passez-vous assis dans la journée en moyenne ? ».  

Un autre facteur essentiel, indissociable de l’inactivité physique et de la sédentarité, c’est la capacité physique. La capacité physique, qui est le plus puissant marqueur validé d’espérance de vie, en particulier en bonne santé, est très méconnue des praticiens. Elle représente le capital santé du sujet. Ceci indépendamment de l’âge, du sexe et de l’état de santé. Par exemple, un homme de 50 ans qui a eu un cancer de la prostate et un infarctus et qui est en capacité de monter quatre étages sans être essoufflé vivra en moyenne plus longtemps qu’un homme de 50 ans qui n’a jamais été malade, seulement capable d’en monter deux. Or l’AP est le seul moyen direct d’augmenter son niveau de capacité physique, indépendamment du sexe, de l’âge et des pathologies éventuelles. Nos médicaments n’augmentent pas directement la capacité physique, ils améliorent les symptômes, ce qui permet d’être plus actif. En d’autres termes, un patient traité médicalement de manière optimale qui ne bouge pas n’augmentera pas sa capacité physique. En prévention, bien manger, bien dormir, ne pas fumer, limiter sa consommation d’alcool… sont essentiels, mais le seul moyen d’améliorer sa capacité physique, donc son capital santé, comme défini par l’OMS, c’est de bouger plus.  

Les effets du Covid-19 sur la population ont confirmé l’importance de l’activité et de la capacité physique. Des études menées dans les populations occidentales ont bien montré, qu’en cas d’infection par le virus, les patients les plus fragiles n’étaient pas simplement ceux qui avaient des comorbidités, mais ceux qui étaient les plus inactifs et/ou avec la capacité physique la moins élevée. D’où le terme mieux adapté de syndémie, effets de l’environnement et du mode de vie sur les conséquences d’une maladie sur la population, préféré par plusieurs épidémiologistes à celui de pandémie. Les effets du Covid-19 ont donc clairement montré que ces populations n’étaient pas en bonne santé. 

Quels sont les bénéfices de l’activité physique en termes de prévention ?

• En prévention primordiale et primaire, l’AP modérée journalière diminue en moyenne de 30 % le risque de développer une maladie chronique. Cela est prouvé pour au moins 35 maladies chroniques. Bien évidemment, il s’agit ici de risque absolu. Le risque individuel varie en fonction des autres facteurs de risque modifiables ou non.  

Depuis 2011, l’AP est une thérapeutique non médicamenteuse validée par la Haute autorité de santé (HAS). 

• En prévention secondaire et tertiaire, l’AP diminue les comorbidités, les complications de la pathologie chronique et peut limiter son évolution. Après un syndrome coronaire aigu bien pris en charge et traité médicalement de manière optimale et lorsque l’AP modérée régulière est maintenue après l’événement, il est rapporté une diminution d’environ 40 % de la mortalité globale, 30 % de la mortalité cardiaque et 25 % du risque de récidive. Nombre de patients atteints de cancer bien pris en charge chirurgicalement et médicalement soulignent les effets bénéfiques de l’AP adaptée (APA) sur leur qualité de vie et en particulier sur l’amélioration de la sensation de fatigue. L’AP reste le seul traitement de la fatigue induite par les traitements anticancéreux. L’AP améliore toujours la qualité de vie du malade chronique. Ceci est essentiel, car tant que l’on n’a pas été malade, le poids du fardeau dans la vie de tous les jours que représente une maladie chronique est sous-estimé par les soignants et parfois par l’entourage du patient. 

Rappelons que l’APA à visée thérapeutique fait partie du traitement de toute maladie chronique stable et que sa non-prescription est une perte de chance pour le patient. Des formations (DPC) sont proposées pour se former à la prescription de l’APA et des informations sont disponibles sur le site de la HAS. 

• L’AP a aussi un rôle important en prévention quaternaire, c’est-à-dire sur les effets délétères des traitements. Elle permet régulièrement de diminuer les traitements. À l’hôpital Sainte-Anne, grand hôpital psychiatrique parisien, tous les malades font de l’AP. Ce qui permet de diminuer leurs traitements. Il en est de même chez des hypertendus ou des diabétiques. Avec comme corollaire une prévention de leurs effets secondaires éventuels. 

 

Comment expliquer les effets sanitaires délétères de l’inactivité physique et de la sédentarité ?

La variété des pathologies favorisée par le choix d’un mode de vie sédentaire et/ou inactif physiquement a longtemps était inexpliqué. La baisse de pratique de son AP journalière avec maintien de son alimentation habituelle s’accompagne rapidement d’une accumulation de graisse, en particulier intra-abdominale, dont la nocivité est bien prouvée. La sédentarité favorise aussi l’accumulation de cette graisse intra-abdominale, d’une part du fait du manque d’activité, et, d’autre part, car elle s’accompagne souvent de grignotage (le snacking). En effet, moins on bouge et plus on mange !

Nous savons aujourd’hui que tous les organes communiquent entre eux via les cytokines qu’ils libèrent dans la circulation, lesquelles se fixent sur des récepteurs membranaires spécifiques situés sur les cellules d’autres organes. La graisse intra-abdominale, qui est métaboliquement très active, libère des adipokines, qui augmentent les niveaux d’inflammation et de stress oxydant et diminuent l’efficacité du système immunitaire. Ces modifications chroniques font le lit de la plupart des maladies chroniques, dont les cancers plus fréquents chez les personnes en surpoids ou obèses. Mais cette inflammation chronique de bas grade s’observe aussi chez le sédentaire et/ou inactif sans surpoids. Les dosages chez ces personnes, notamment de la CRP, le marqueur le plus sensible de l’inflammation, le confirment. 

 

Et, à l’inverse, comment expliquer les effets bénéfiques de l’activité physique ?

L’effet polypill de l’AP a longtemps perturbé l’esprit médical, car considéré comme inexplicable par beaucoup. Il faut, pour comprendre ces effets, revenir vers notre ancêtre Homo sapiens qui, au cours de son évolution, a dû, pour survivre, privilégier deux parties de son génome. Génome qui reste très proche du nôtre. D’une part, les gènes qui facilitent le stockage des graisses, car notre ancêtre ne mangeait pas à sa faim tous les jours. Aujourd’hui, nous stimulons bien trop ces gènes, d’où l’épidémie d’obésité qui nous submerge. D’autre part, les gènes de l’endurance, car, à l’époque, il pratiquait la chasse par l’épuisement. Ces gènes nous ne les stimulons plus. Or la contraction musculaire, en stimulant ces gènes, favorise la libération de myokines qui, en diffusant dans l’organisme, baissent l’inflammation, le stress oxydant et stimulent l’immunité et la vasomotricité. D’autres cytokines, regroupées sous le terme d’exerkines, libérées par la plupart des organes (cœur, foie, os…) ont été récemment isolées. Ainsi, nous sommes génétiquement programmés pour bouger et, pour préserver notre capital santé le plus longtemps possible, nous n’avons pas d’autre issue que le mouvement.  

 

Quels sont les effets dans les cancers ?

En prévention primaire, le manque d’AP et/ou les comportements sédentaires inadaptés augmentent le risque de plusieurs cancers d’environ 20-30 %. Inflammation, stress oxydant et surtout diminution de l’immunité favorisent leur développement. D’autres facteurs rentrent aussi en compte, comme une composition corporelle défavorable ou encore, dans les cancers colorectaux, un transit intestinal prolongé. En bref, pour le cancer du sein, qui reste le plus étudié, en prévention primaire, le risque est diminué de 20 %, en prévention secondaire, l’association traitements anticancéreux optimaux et AP permet de réduire la mortalité du cancer du sein d’environ 30 %, enfin, en rémission, la poursuite de l’activité physique régulière diminue le risque de récidive de cancer de 20 à 40 % selon les cancers. 

 

Sur le plan politique, quels conseils pourriez-vous donner à un ou une ministre de l’Éducation nationale pour changer les choses ?

Je ne pense pas avoir de conseils à donner, je peux seulement faire des propositions. L’éducation physique et sportive (EPS) devrait être considérée, comme dans nombre d’autres pays, comme une matière aussi importante, ni plus ni moins, que les mathématiques et le français. Aujourd’hui, en France, l’EPS est considérée comme une sous-matière, comme une perte de temps. Contrairement à ce qu’elle veut faire croire, nombre d’attitudes de l’Éducation nationale le prouvent. Un exemple : la pratique de l’AP quotidienne en primaire présentée avec emphase par le ministre de l’Éducation nationale de l’époque, qui prend soin de préciser « pour les classes volontaires ». Mais, à quand la lecture ou les mathématiques pour les classes volontaires ? Toutes les études scientifiques montrent pourtant que les enfants qui pratiquent régulièrement des AP, nous ne parlons pas de sport, sont ceux qui ont de meilleurs résultats scolaires, avec moins de décrochage, une meilleure insertion sociale et, bien sûr, une meilleure santé. L’AP quotidienne en primaire améliore l’ambiance générale de la classe, avec moins de disputes entre les élèves. L’AP quotidienne améliore les fonctions cognitives avec une meilleure concentration. Le monde a changé, l’Éducation nationale ne veut pas le voir. L’école, comme le milieu professionnel, favorise la sédentarité. Ce qui n’avait pas d’importance avant, car l’enfant et l’adolescent bougeaient chaque jour en dehors de l’école. Aujourd’hui, il passe la plus grande partie de son temps extrascolaire couché ou assis les yeux rivés, en mimant souvent l’exemple de ses parents, sur un écran. Aujourd’hui, nos enfants sont de plus en plus en surpoids et/ou obèses, développent avant 18 ans un diabète de type 2, caractéristique de l’homme de 40-50 ans,
des dépressions… Une étude de notre équipe, portée par le collectif
Pour une France en forme, a montré que la vitesse moyenne de course sur 5 minutes des collégiens français en novembre 2022 était de 9,8 contre 11,0 km/h en 1987. Leur capacité physique, c’est-à-dire leur capital santé, baisse inexorablement. Le seul moyen de la ré-augmenter, c’est d’augmenter leur AP. La deuxième partie de notre étude l’a confirmé. En neuf séances de 10 minutes d’entraînement fractionné, incluses dans le cours d’EPS habituel, les collégiens entraînés ont rattrapé 40 % de la baisse observée entre 1987 et 2022 ! Donc la situation est grave, mais elle peut être améliorée et il est urgent de le faire. L’Éducation nationale le sait, nous félicite pour notre étude et… évoque la possibilité d’expérimenter la majoration du temps d’EPS dans les collèges et lycées volontaires !

Mais, que faut-il faire pour que notre Éducation nationale se décide à se réveiller ? Pour qu’elle se décide à encourager/respecter/augmenter les temps d’AP, dès l’école primaire, en expliquant les objectifs et les bienfaits aux enseignants concernés pour les motiver à s’engager dans cette direction ?

Et pour le ministre de la Santé ?

J’aimerais qu’enfin nous fassions de la prévention, une vraie prévention et non pas seulement de la communication comme actuellement. En fait, nous n’avons pas un ministère de la Santé, mais de la Maladie. En effet, les dépenses pharaoniques de la Sécurité sociale concernent presque exclusivement les traitements des maladies chroniques, première cause actuelle de morbidité et mortalité. Entre 2020 et 2025, ce ministère prévoit entre 750 000 et 1 million de malades chroniques, qui seront de plus en plus jeunes, ce qu’il omet de dire. Qui va les soigner ? Combien de temps pourrons-nous payer leurs soins ? La solution c’est de diminuer le nombre de malades. Cela s’appelle la prévention. Notre médecine n’est que curative, comme l’illustre l’attitude la plus courante qui est un médicament pour chaque symptôme. Les limites de cette médecine uniquement curative sont atteintes. Il faut lui associer la médecine préventive, comme d’autres pays l’ont fait. Mais, pour cela, il faut une véritable volonté, avec des actes forts, que je ne vois pas poindre dans les objectifs de notre ministère. Les médecins français ne sont pas formés à la prévention, comment pourraient-ils en prescrire efficacement ? La prévention doit être une discipline de base des études médicales, au même titre que la physiologie et l’anatomie.  Dans ce cadre, l’AP, mais pas qu’elle, a un rôle préventif majeur. 

Il faut que le ministère de la Santé accepte de rembourser l’APA à visée thérapeutique. Il s’agit de séances d’AP, dont le bénéfice est prouvé dans la prévention et le traitement des maladies chroniques et dans la prévention de la perte d’autonomie, qui peuvent être prescrites par tout médecin comme le dit la loi du « sport sur ordonnance » de mars 2022. Les conditions de prescription de cette thérapeutique non médicamenteuse ont été strictement établies par la HAS en 2022, à la demande de la caisse nationale de l’Assurance maladie. Ses effets bénéfiques prouvés s’associent globalement à une économie de soins. Cette thérapeutique validée doit être prise en charge, au moins partiellement, par la Sécurité sociale. Quand est-ce que les effets d’annonce et les usines à gaz incompréhensibles, comme celle proposée sur ce point dans le dernier projet de Loi de finance de la Sécurité sociale, vont-ils cesser ? 

Contrairement à leur communication, nos décideurs politiques ne croient pas vraiment aux bienfaits de la prévention. Quand on leur parle du tsunami de malades chroniques de plus en plus jeunes qui arrive, ils regardent ailleurs. 

Quelle sera la personnalité politique qui osera dire que l’on ne peut plus accepter que nos enfants présentent de plus en plus de maladies de “vieux” ? Que notre principale ligne de dépense sanitaire concerne des maladies pour beaucoup évitables ? Et qui aura enfin le courage de vraiment agir en conséquence ?

L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêt en rapport avec cet article.