Le cancer colorectal (CCR) est le troisième cancer le plus fréquent dans le monde avec 1 931 590 cas rapportés en 2020 (Globocan 2020). L’avènement de la biologie moléculaire a permis une meilleure compréhension de la carcinogenèse colorectale et ainsi la définition, au sein des cancers colorectaux, de différents profils moléculaires. Parmi les altérations génétiques ayant une incidence directe sur la prise en charge des CCR métastatiques en 2022, les mutations des gènes RAS, BRAF et l’instabilité microsatellitaire sont indispensables à rechercher dès la première ligne métastatique. D’autres altérations plus rares, impliquant les gènes HER2, PI3KCA, NTRK, RET, etc. font également l’objet de recherches actives et de traitements spécifiques. Plus simplement, la localisation anatomique de la tumeur primitive (droite/gauche) est également utilisée du fait de son effet pronostic et prédictif sur la réponse aux thérapies anti-EGFR. Cet article s’intéresse aux caractéristiques des CCR métastatiques porteurs d’une mutation du gène BRAF et plus particulièrement de la mutation BRAFV600E, sa valeur pronostique et prédictive aux stades localisés et métastatiques.
Les mutations BRAF dans les cancers colorectaux
Voies de signalisation et mutations BRAF
Dans les cancers colorectaux, il existe fréquemment une activation de l’EGFR (Epidermal Growth Factor), responsable d’une cascade de phosphorylations protéiques intracellulaires, activant elle-même deux voies principales de signalisation, MAPK et AKT-mTOR. La protéine BRAF fait partie de la famille des sérines/thréonines kinases s’intégrant dans la voie de signalisation des MAP (Mitogen-Activated Protein) kinases (MAPK) et impliquée dans la régulation prolifération/apoptose cellulaire (Fig. 1). Elle est codée par le gène BRAF, localisé sur le bras long du chromosome 7.
Figure 1 – Voie de signalisation des MAPK dans le cancer colorectal et mécanisme de résistance aux anti-BRAF en monothérapie (d’après 3).
Les mutations BRAF
Il existe trois classes de mutations BRAF :
• les mutations BRAF activatrices indépendantes de RAS qui s’activent sous forme de monomères (classe 1)
• ou de dimères (classe 2)
• et les mutations BRAF dépendantes de RAS dont l’activité kinase est altérée (classe 3).
La mutation BRAFV600E appartient à la classe 1, tandis que les mutations BRAF nonV600E sont de classe 2 (codons 601 et 597) ou 3 (codons 594 et 596) (1).
Les mutations du gène BRAFV600E
Les mutations du gène BRAFV600E correspondent à une transversion T>A (remplacement d’une thymine en une adénine) en position 600. Cette mutation est activatrice, c’est-à-dire qu’elle produit une forme activée de la protéine BRAF et induit, par phosphorylation directe de MEK, une activation de la voie MAPK indépendante de la fixation du ligand sur le récepteur EGF. Ainsi, l’activation constitutive de BRAF possède un potentiel oncogénique (2). La mutation BRAFV600E est habituellement exclusive des mutations des gènes RAS dans les CCRm.
À retenir
La mutation V600E du gène BRAF est responsable d’une prolifération et d’une survie cellulaire indépendante de l’EGFR. Elle est habituellement exclusive des mutations des gènes RAS dans les CCRm.
Mutations BRAFV600E et cancers colorectaux
Épidémiologie
La mutation BRAFV600E est la plus fréquente (95 %) des mutations BRAF dans les cancers colorectaux et décrite dans 8 à 12 % des cas (3). Elle est associée le plus souvent aux cancers du côlon droit (60 à 80 %), peu différenciés, à composante mucineuse, du sujet âgé et de sexe féminin. Elle survient beaucoup plus fréquemment dans les cancers sporadiques avec instabilité microsatellitaire (MSI) que dans les tumeurs stables (MSS) (respectivement 30 versus 5-10 %).
Pronostic
La mutation BRAFV600E est habituellement associée à un mauvais pronostic, avec une évolution métastatique majoritairement ganglionnaire et péritonéale comparativement aux atteintes hépatiques et pulmonaires plus habituelles (4). Néanmoins, des évolutions plus favorables sont possibles (4-6). Il existe par ailleurs une trentaine de mutations BRAF nonV600E tous cancers confondus (7), et qui semblent dans le CCR entraîner un pronostic similaire à celui des tumeurs non mutées. Des données préliminaires montrent que les mutations BRAF nonV600E pourraient être plus fréquemment associées avec les mutations du gène POLE (8).
Les mutations BRAFV600E sont retrouvées également dans d’autres cancers (mélanomes, cancers papillaires de la thyroïde, histiocytose à cellules de Langerhans ou bronchique non à petites cellules…).
Diversité biologique des mutations BRAFV600E
Il existe une hétérogénéité biologique des mutations BRAFV600E, à la fois entre les différents types tumoraux dans lesquels elle est présente, mais aussi au sein même de cancers colorectaux. Cette diversité biologique explique probablement les différences en termes de pronostic et de réponse aux thérapies ciblées anti-BRAF. Deux sous-types moléculaires ont été identifiés dans les CCR :
• BM1 (BRAFV600E mutant 1) avec une activation de la voie KRAS/mTOR/AKT/4EBP1
• et BM2 (BRAFV600E mutant 2) avec une dérégulation du cycle cellulaire (9) (Fig. 2).
Figure 2 – Activité des deux sous-types BM1 et BM2 dans les mutations BRAFV600E (9).
À retenir
La mutation BRAFV600E est la principale mutation BRAF dans les CCR et possède des caractéristiques histologiques, phénotypiques et cliniques propres. Il existe néanmoins une hétérogénéité clinique et biologique des CCR BRAFV600E.
Instabilité microsatellitaire et déficience du système MMR
La mutation BRAFV600E est associée au phénotype de méthylation des îlots CpG (CIMP), qui entraîne l’hyperméthylation des régions promotrices de l’ADN et l’extinction des gènes (10). Dans le CCR BRAFV600E, le phénotype CIMP est associé à une instabilité microsatellitaire/déficience du système MMR (MSI/dMMR) (MicroSatellite Instability/Deficient Mismatch Repair) dans environ 30 % des cas, par hyperméthylation du promoteur du gène MLH1 (11). L’instabilité microsatellitaire caractérise l’une des deux voies majeures de la carcinogenèse colorectale et est impliquée dans 10 à 20 % des cancers colorectaux sporadiques. Elle est définie par la présence d’une instabilité des microsatellites, séquences répétées de l’ADN particulièrement exposées à des erreurs de mésappariements lors de la réplication. La déficience du complexe de réparation de ces erreurs (MMR pour MisMatch Repair) entraîne une accumulation de mutations secondaires au sein de gènes impliqués dans le contrôle tumoral. Cette déficience du système MMR (dMMR) peut être d’origine constitutionnelle (syndrome de Lynch = 5 % des CCR) ou sporadique (15-20 % des CCR), la présence de la mutation BRAFV600E signant le caractère sporadique de manière quasiment certaine (11, 12). Au stade localisé, la mutation BRAFV600E est plus fréquente dans les CCR MSI que MSS (31 versus 7 %) et 24 à 35 % des tumeurs mutées BRAF sont MSI (13, 14). Au stade métastatique, on retrouve 21 % de tumeurs MSI au sein de la population BRAFV600E et 35 % de mutation BRAFV600E dans les tumeurs MSI (15) (Fig. 3).
Figure 3 – Fréquence de la mutation BRAF en fonction du statut MMR.
A) Quel que soit le statut MMR ; B) pMMR/MSS ; C) dMMR/MSI (24).
Classification des cancers colorectaux
En 2015, un consortium scientifique international a établi une classification moléculaire des CCR fondée sur l’expression génique et la signature de transcriptomes, permettant la catégorisation des tumeurs en quatre sous-types CMS (Consensus Molecular Subtypes), désignés CMS1, CMS2, CMS3 et CMS4, associés à une valeur pronostique, et, dans certains cas, prédictive d’efficacité thérapeutique (Tab. 1) (16). Les CCR BRAFV600E appartiennent le plus fréquemment au sous-type CMS1 (plus rarement au CMS3 et CMS4). Cette classification a été récemment actualisée par des analyses de Single-cell RNA sequencing en cinq sous-types et nommée IMF, incluant la détermination du sous-type épithélial intrinsèque (I), du statut d’instabilité des microsatellites (M) et de la fibrose (F) (17).
À retenir
Les mutations BRAFV600E sont associées à l’instabilité microsatellitaire (MSI/dMMR) dans environ 30 % des CCR. Les classifications moléculaires sont peu utilisées en routine aujourd’hui, mais pourraient permettre une meilleure caractérisation tumorale et donc une meilleure prédiction de la réponse à certains traitements spécifiques comme l’immunothérapie.
Techniques d’identification des mutations BRAF
Plusieurs techniques permettent d’identifier les mutations de BRAF à partir d’ADN tumoral tissulaire extrait de blocs de tumeurs fixées et incluses en paraffine, dont la biologie moléculaire (PCR et séquençage génique (NGS)) et l’immunohistochimie.
Les techniques de biologie moléculaire
• La PCR (Polymerase Chain Reaction) permet en une seule étape et en quelques minutes d’obtenir le statut mutationnel BRAF avec des délais de 1 à 3 jours.
• La mutation BRAF fait partie du panel de gènes analysés par les nouvelles techniques de séquençage NGS (Next Generation Sequencing) mises en place dans les plateformes de génétique moléculaire. Il s’agit d’une technique permettant d’analyser un grand nombre de gènes de façon simultanée et ce, avec une sensibilité élevée, mais avec des délais de 1 à 2 semaines.
L’immunohistochimie
L’immunohistochimie est une technique qualitative, semi-quantitative et rapide permettant la détection de la protéine anormale à l’aide d’anticorps avec une bonne sensibilité (Se > 96 %) et spécificité (Spe > 90 %) (18). Elle est utilisée dans les mélanomes et les cancers thyroïdiens, mais peu dans les cancers colorectaux du fait de sa moindre fréquence et de la nécessité d’un séquençage pour identification des mutations RAS.
Le séquençage de l’ADN tumoral circulant
Depuis quelques années, l’analyse du statut BRAF par le séquençage de l’ADN tumoral circulant (ADNtc) (“biopsie liquide”) est possible. Après extraction de l’ADN, l’analyse par NGS ou PCR permet de détecter les mutations BRAF avec une bonne concordance du statut mutationnel tissulaire (19). La sensibilité de l’ADNtc diminue en l’absence de métastase hépatique, la présence d’ADNtc semblant moins fiable en cas de métastases pulmonaires ou de carcinose péritonéale (20).
À retenir
La mutation BRAFV600E est recherchée aujourd’hui dès la première ligne métastatique dans tous les CCR par un séquençage tumoral, mais peut être également recherchée sur l’ADN tumoral circulant (biopsie liquide).
Mutations BRAFV600E et cancers colorectaux localisés
Traitement des cancers colorectaux localisés
Les cancers du côlon sont diagnostiqués à un stade localisé dans 75 % des cas. Un traitement adjuvant par chimiothérapie d’une durée de 3 à 6 mois par XELOX/FOLFOX est proposé dans les CCR de stade III ou de stade II à haut risque (MSS avec un ou plusieurs des facteurs de mauvais pronostic suivants : T4, analyse de moins de 12 ganglions, présence d’emboles veineux, périnerveux et/ou lymphatiques, tumeur peu différenciée, perforation tumorale et, pour certains, occlusion révélatrice et présence de cellules tumorales isolées dans un ganglion N0 (CTI)) (TNCD-Cancer du côlon non métastatique-
dernière mise à jour le 26/05/2021) avec une réduction du risque de récidive et de la mortalité (21).
Statut MSI/dMMR
On sait aujourd’hui que le statut MSI/dMMR au stade localisé est de meilleur pronostic et que la chimiothérapie n’apporte pas de bénéfice en termes de survie sans maladie et survie globale, ce qui oriente vers une surveillance (22, 23).
Cas des mutations BRAFV600E
Les mutations BRAFV600E dans les CCR stade II et III sont de mauvais pronostic. Une première revue de la littérature publiée en 2017, fondée sur l’analyse de deux essais cliniques (PETACC-8, N0147) a permis de montrer que dans les CCR de stade III MSS/pMMR, la mutation BRAFV600E était associée à une diminution significative de la survie globale, du temps jusqu’à récidive et de la survie après rechute (24). Cet effet pronostique n’était pas significatif chez les patients porteurs d’un CCR MSI/dMMR, chez lesquels la présence de la mutation BRAFV600E n’influençait pas de façon significative la survie globale ou le temps jusqu’à récidive. Plus récemment une autre méta-analyse de neuf essais cliniques (QUASAR 2, PETACC-8, N0147, CALGB-89803, NSABP-C07, NSABP-C08, PETACC-3, QUASAR, MOSAIC), soit 10 893 patients (avec CCR de stade II ou III), a conforté les résultats précédents (25). Elle a de plus apporté une information complémentaire en confirmant l’interaction entre BRAFV600E et statut MSI/dMMR.
À retenir
La mutation BRAFV600E est associée à un pronostic péjoratif des CCR dès les stades localisés II ou III. Toutefois, sa recherche n’est pas indiquée en routine aujourd’hui.
Cancers colorectaux métastatiques
Pronostic
En situation métastatique, les différentes études ayant analysé l’effet de la mutation BRAFV600E donnent des résultats uniformes, lui conférant, comme dans les stades localisés, une valeur pronostique péjorative. Dans une analyse poolée de plusieurs essais cliniques publiée en 2016, les patients présentaient une survie sans progression entre 4 et 7 mois et une survie globale de 9 à 15 mois, soit environ deux fois moins que les tumeurs BRAF sauvages (15). Dans cette étude, le statut MSI/dMMR n’influençait pas la survie globale ni la survie sans progression et, de la même façon, le mauvais pronostic de la mutation BRAFV600E semblait ne pas être observé dans le groupe MSI/dMMR. En revanche, l’effet pronostique péjoratif était présent dans le sous-groupe BRAFV600E MSS/pMMR avec une survie sans progression de 6,2 versus 7,8 mois et surtout une survie globale de 11,3 versus 17,3 mois. D’autres études ont montré des résultats inverses avec un effet positif du statut MSI/dMMR sur la survie des patients porteurs d’un CCRm BRAFV600E (4).
Traitements de première ligne métastatique
À ce jour, le choix du traitement de première ligne métastatique pour les CCRm BRAFV600E/pMMR se fonde sur des analyses post-hoc de sous-groupes de patients inclus dans des essais cliniques de phase III, ou sur des études de phase II.
FOLFOXIRI/FOLFIRI + bévacizumab
L’essai de phase III TRIBE a comparé deux types de chimiothérapie (FOLFOXIRI ou FOLFIRI) associées au bévacizumab (n = 16 et 12 patients avec CCR BRAFV600E respectivement) (26). Dans l’analyse post-hoc, le FOLFOXIRI plus bévacizumab semblait plus actif que la bi-chimiothérapie + bévacizumab en termes de survie globale (19 versus 10,7 mois) et sans progression (7,5 versus 5,5 mois). Malgré la petite taille de l’échantillon, l’absence de significativité statistique et l’absence de bras contrôle sans bévacizumab, le FOLFOXIRI + bévacizumab s’est imposé comme traitement de première ligne de référence pour les patients avec CCRm BRAFV600E en bon état général (ECOG-PS 0-1). Cependant, ces résultats n’ont pas été confirmés ni dans l’essai TRIBE-2, ni dans une méta-analyse ultérieure (27, 28). Il est donc admis aujourd’hui que, dans les CCRm BRAF muté/pMMR, une bi- ou tri-chimiothérapie + bévacizumab constitue le traitement standard de première ligne métastatique (29).
Les anti-EGFR
La mutation BRAFV600E a par ailleurs été identifiée assez précocement comme un facteur prédictif d’efficacité limitée des anti-EGFR dans les CCRm MSS/pMMR (30, 31). Et malgré des résultats positifs de certaines combinaisons de chimiothérapie + anti-EGFR en termes de taux de réponse, l’absence de bénéfice en survie et leur utilisation préférentielle en seconde ligne avec les anti-BRAF les excluent aujourd’hui des traitements de première ligne (32-34). Toutefois, l’association chimiothérapie + anti-BRAF + anti-EGFR est évaluée dans l’étude de phase III, BREAKWATER (NCT04607421) et remettra peut-être en cause cette stratégie thérapeutique dans les CCRm BRAFV600E/pMMR.
Le pembrolizumab
Dans les CCRm BRAFV600E/MSI/dMMR, l’essai de phase III, KEYNOTE-177 a validé l’utilisation du pembrolizumab dès la première ligne métastatique quel que soit le statut mutationnel RAS/BRAF (35-37). Le pembrolizumab s’est révélé supérieur au traitement de chimiothérapie standard (LV5FU2 + oxaliplatine/irinotécan ± bévacizumab ou cétuximab) dans l’ensemble de la population MSI/dMMR avec une survie sans progression de 16,5 versus 8,2 mois (HR = 0,59 ; IC 95 % = 0,45-0,79) et un taux de réponse de 45,1 versus 33,1 % sans effet significatif sur la survie globale (non atteinte avec pembrolizumab [IC 95 % = 42,9-NA] versus 36,7 mois [27,6-NA]) (HR = 0,74 ; IC 95 % = 0,53-1,03 ; p = 0,0359). Cet essai a également montré un bénéfice de l’immunothérapie en première ligne dans le sous-groupe des tumeurs BRAFV600E (HR = 0,48 ; 0,27-0,86).
Traitements de seconde ligne métastatique
Avant l’ère des thérapies ciblées anti-BRAF, les recommandations pour le traitement de seconde ligne n’étaient pas consensuelles, principalement par le manque de puissance des essais cliniques, du fait des faibles effectifs de patients avec CCRm BRAFV600E.
Les antiangiogéniques
Trois études ont montré l’intérêt de la poursuite d’un antiangio-
génique après bévacizumab en première ligne dans le sous-groupe des CCRm BRAFV600E (38-40).
Les inhibiteurs de BRAF en monothérapie
Dès 2015, par analogie aux essais menés dans les mélanomes métastatiques, des études ont été conduites dans le CCRm BRAFV600E avec des inhibiteurs de BRAF (vémurafénib et dabrafénib), mais sans autant de succès (41-43) (Tab. 2).
L’explication à ce manque d’efficacité des anti-BRAF en monothérapie dans les CCRm BRAFV600E serait l’activation conjointe de la voie PI3K/AKT et RAS/MAPK par rétrocontrôle positif sur l’EGFR, avec, chez les patients, l’apparition de mutations de KRAS et d’amplification AKT1 (29). Cette théorie a supporté de nouvelles études associant un anti-BRAF (dabrafénib) avec un anti-MEK (tramétinib) avec des résultats similaires (44).
La combinaison anti-BRAF et anti-EGFR
La grande avancée dans le traitement des CCRm BRAFV600E a été apportée par la combinaison anti-BRAF et anti-EGFR évaluée dans l’étude BEACON (45-47). L’anti-BRAF, encorafénib, associé à un anti-EGFR, le cétuximab, ± un anti-MEK, le binimétinib, a été comparé au traitement standard de chimiothérapie + cétuximab. L’objectif principal de l’étude était l’évaluation de la réponse objective et de la survie globale du groupe contrôle avec le triplet anti-BRAF, anti-MEK et l’anti-EGFR. Avec une médiane de suivi de 12,8 mois, les résultats en termes d’efficacité ont montré une augmentation du taux de réponse objective à 34 % en seconde et 26 % en troisième ligne par la triple association en comparaison à un taux de réponse de 1,8 % dans le bras contrôle. La réponse objective avec le doublet anti-BRAF + anti-EGFR était de 19,5 %. De façon intéressante, la survie globale des patients traités avec le triplet semblait équivalente à celle du doublet, avec une supériorité par rapport au contrôle (respectivement 9,3, 9,3 et 5,9 mois). Il en était de même pour la survie sans progression qui était de 4,3, 4,2 et 1,5 mois respectivement pour le triplet, doublet et bras contrôle. L’actualisation des résultats ne montre pas de différence entre doublet ou triplet, mais une toxicité plus importante pour le triplet (58 versus 50 %) surtout en termes d’effets indésirables de grade 3-4 (dont des décollements de rétine ou des dysfonctions ventriculaires gauches). Cette étude n’ayant pas été conçue pour comparer double et triple association, elle a permis d’enregistrer la bithérapie encorafénib + cétuximab comme traitement de première intention en deuxième ou troisième ligne métastatique des patients avec CCRm BRAFV600E mutés MSS/pMMR.
Les inhibiteurs de checkpoints immunitaires
Les CCRm BRAFV600E/dMMR-MSI ont aussi fait l’objet d’analyses en sous-groupes dans des essais évaluant des inhibiteurs de checkpoints immunitaires (ICI) chez les patients prétraités, la mutation BRAFV600E n’influençant pas la réponse au pembrolizumab (48) ou à l’association ipilimumab/nivolumab (49).
Chirurgie des métastases
La mutation BRAFV600E est un facteur de mauvais pronostic retrouvé dans toutes les séries chirurgicales, qu’elles étudient la chirurgie des métastases hépatiques (50) ou péritonéales (51). Néanmoins, plusieurs études rétrospectives et une méta-analyse montrent que la chirurgie des métastases hépatiques apporte un probable bénéfice en survie dans les CCRm BRAFV600E chez des patients traités efficacement par chimiothérapie + thérapie ciblée (52-54).
À retenir
La mutation BRAFV600E est également associée à un pronostic péjoratif dans les CCR au stade métastatique. Elle doit être recherchée de façon systématique (en parallèle avec le statut MSI/dMMR) dès la première ligne. Pour les CCRm MSS/pMMR, le traitement de première ligne comprendra une bi- ou une tri-chimiothérapie (type FOLFOX, FOLFIRI ou FOLFOXIRI) + bévacizumab. Pour les CCRm MSI/dMMR, il s’agira d’une indication de pembrolizumab. En seconde ligne, les patients recevront l’association cétuximab + encorafénib.
Études en cours (Tab. 3)
(Au 10 juillet 2022 ; https://clinicaltrials.gov/ct2/home)
Malgré d’importants progrès dans la prise en charge des CCR BRAFV600E, une résistance à la combinaison anti-EGFR + anti-BRAF médiée par la réactivation de la voie MAPK apparaît de façon inéluctable. De nombreuses études de phase I/II évaluent de nouveaux médicaments bloquant cette voie de signalisation à différents niveaux (inhibiteurs panRAF, d’inhibiteurs ERK1/2 ou d’inhibiteurs SHP2) ou avec différentes associations de thérapies ciblées entre elles. Par ailleurs, les combinaisons des traitements ciblés (anti-BRAF + anti-EGFR) avec des inhibiteurs de points de contrôle immunitaires ou de la chimiothérapie cytotoxique sont également évaluées dans plusieurs essais cliniques.
Conclusion
Les CCR avec mutation BRAFV600E ont un pronostic péjoratif, mais bénéficient depuis quelques années d’une prise en charge spécifique qui a permis d’optimiser l’efficacité des séquences thérapeutiques. Le principal progrès a été l’introduction d’une nouvelle combinaison thérapeutique anti-BRAF + anti-EGFR (encorafénib + cétuximab) en seconde ou troisième ligne métastatique après progression sous chimiothérapie et antiangiogénique. La recherche de cette altération moléculaire, couplée systématiquement au statut MS/MMR, doit donc faire partie du panel de tests de routine dès la première ligne métastatique dans les CCR.
Les perspectives d’évolution dans cette pathologie sont nombreuses et pourront notamment inclure :
• l’utilisation précoce, dès la situation néoadjuvante ou la première ligne métastatique, des thérapies ciblées anti-BRAF/anti-EGFR ± couplées à de la chimiothérapie ou des inhibiteurs de checkpoints immunitaires,
• l’utilisation de l’ADN tumoral circulant comme moyen d’évaluation de la survenue de résistance aux traitements (monitoring sanguin)
• et l’évaluation de nouvelles combinaisons avec de nouveaux inhibiteurs panRAF, ERK, SHP2, BRD2/4.
Les auteurs n’ont pas déclaré de liens d’intérêt en rapport avec cet article.
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