L’alopécie induite par les traitements anticancéreux (AIA) est l’un des effets secondaires, avec les nausées-vomissements, les plus redoutés par les patients qui vont recevoir un traitement anticancéreux. Cet effet secondaire a une incidence profonde sur la qualité de vie et sur l’état psychologique des patients. Il a aussi un effet social majeur altérant souvent la perception de soi et la relation avec les autres. L’alopécie est le plus fréquemment rencontrée avec les agents cytotoxiques tels que la chimiothérapie. Cependant, il est rencontré avec les thérapies ciblées, l’hormonothérapie et l’immunothérapie (radiothérapie non abordée ici).
Cet article tente d’offrir une vue d’ensemble des connaissances actuelles sur le sujet, explore la physiopathologie, le diagnostic, les stratégies préventives et les traitements curatifs, en mettant l’accent sur les avancées récentes et les perspectives.
Mécanismes physiopathologiques, diagnostic et facteurs de risque
Mécanismes physiopathologiques
Il existe trois mécanismes responsables d’AIA :
• la destruction folliculaire avec la chimiothérapie,
• la miniaturisation folliculaire avec les thérapies ciblées et l’hormonothérapie,
• et le blocage du cycle pilaire avec l’immunothérapie.
Diagnostic et signes cliniques
L’AIA est une perte partielle ou totale des cheveux et/ou des poils survenant en réponse à l’utilisation de certains agents cytotoxiques.
D’un point de vue clinique, l’AIA peut s’accompagner de sensations désagréables à type de dysesthésie (diminution ou exagération de la sensibilité du cuir chevelu), de sensation de démangeaison ou de sensation de sécheresse du cuir chevelu (1).
L’alopécie ne se limite pas au cuir chevelu et peut affecter les autres poils du corps, tels que les sourcils, les cils et les poils axillaires et pubiens.
Gradation de la sévérité
L’évaluation de l’AIA repose sur les critères du NCI-CTCAE (Common Terminology Criteria for Adverse Events 5.0) (2) :
• grade 1 : perte de cheveux inférieure à 50 %, sans impact esthétique majeur ;
• grade 2 : perte de cheveux égale ou supérieure à 50 %, entraînant une altération esthétique évidente.
Cette classification standardisée est essentielle pour évaluer la sévérité de l’alopécie et pour orienter les décisions thérapeutiques.
Il existe de nombreux systèmes de gradation de la sévérité : échelles de l’OMS, de Dean (3), de l’ECOG, de Sredni, de Olsen (Tab. 1). Cependant, le CTCAE v5.0 reste la norme pour la description et l’échange d’informations sur la sécurité des médicaments dans les traitements contre le cancer. On notera aussi que, pour l’alopécie des cils et des sourcils, il n’existe pas d’échelles de notation validées.
La qualité de vie liée à l’AIA peut aussi être évaluée à l’aide de questionnaires. On peut citer parmi d’autres l’échelle CADS (Chemotherapy-Induced Alopecia Distress Scale) (4).
Facteurs de risque d’AIA
Le principal facteur de risque de l’AIA chez les patients est le type de traitement (chimiothérapie, hormonothérapie, thérapie ciblée, immunothérapie).
Pour la chimiothérapie, les autres facteurs de risque connus sont le schéma thérapeutique (moins fréquente pour les schémas hebdomadaires), la polychimiothérapie, la posologie (dose dépendant), la dose cumulée.
Parmi les facteurs individuels, il est possible d’individualiser :
• le statut nutritionnel et hormonal,
• l’âge (capacité de régénération folliculaire diminuée avec l’âge),
• le terrain génétique
• et la présence d’une alopécie préexistante.
Autres mécanismes responsables d’alopécie lors d’un cancer
Les autres mécanismes qui peuvent conduire à l’alopécie lors d’un cancer sont :
• la malnutrition induite par le cancer ;
• les métastases du cuir chevelu qui peuvent présenter des caractéristiques d’alopécie ;
• des mécanismes paranéoplasiques.
Traitements responsables d’AIA
La chimiothérapie
La fréquence d’AIA, tous protocoles de chimiothérapie confondus, est d’environ 65 % (5). Elle apparaît rapidement après le début du traitement et devient maximale en 2 à 3 semaines. À 3 mois de la fin du traitement, la croissance capillaire reprend habituellement un rythme normal. Des résultats esthétiques peuvent être escomptés après 6 mois.
Facteurs de risque
Le principal facteur de risque de l’AIA chez les patients traités par chimiothérapie est la classe de la chimiothérapie. Le cyclophosphamide à haute dose, les taxanes et les anthracyclines sont les classes thérapeutiques qui provoquent le plus fréquemment et le plus sévèrement des AIA (Tab. 2). A contrario, les antimétabolites et les sels de platine provoquent plus rarement une AIA.
Les thérapies ciblées
Les thérapies ciblées (TC) peuvent être responsables d’AIA, mais aussi de troubles particuliers du système pileux (8).
• Les inhibiteurs de la voie Hedgehog, avec notamment le vismodegib, présentent un risque d’AIA autour de 60 %, avec en outre un risque d’AIA persistante.
• Les inhibiteurs multikinases, comme sorafénib ou régorafénib, ainsi que les inhibiteurs de BRAF (dabrafénib, encorafénib) présentent aussi un risque d’AIA estimé entre 20 et 30 %. Avec les inhibiteurs de BRAF, une repousse des cheveux peut être observée en dépit de la poursuite du traitement.
• Les inhibiteurs d’EGFR (erlotinib, géfitinib, afatinib), mais aussi les inhibiteurs de VEGFR (axitinib, cabozantinib, pazopanib, sunitinib…) présentent un risque d’alopécie situé entre 5 et 15 %. Avec les inhibiteurs d’EGFR, on note des cheveux souvent plus secs, cassants et bouclés. On peut aussi observer une hypertrichose (pilosité plus abondante avec présence de duvet) et une trichomégalie (cils anormalement long) qui sont caractéristiques de cette classe thérapeutique.
L’hormonothérapie
• Dans les cancers du sein, le risque d’AIA sous hormonothérapie est estimé à environ 5 % (9), avec des variations importantes, en particulier avec certaines associations thérapeutiques. On note par exemple un risque de 20 à 30 % d’AIA pour l’association anti-aromatase et inhibiteurs CDK 4/6.
• Dans le cancer de prostate, aucune des thérapies de privation d’androgènes n’a été associée à l’AIA (9).
L’immunothérapie
L’alopécie induite par les inhibiteurs de points de contrôle immunitaires (ICI) est estimée à 1 ou 2 % (10). Les ICI sont en effet associés à des toxicités cutanées (éruption maculopapuleuse, eczéma, vitiligo…) qui peuvent entraîner, dans certaines conditions, une alopécie lorsqu’elles s’étendent au cuir chevelu. En ce qui concerne la cinétique d’apparition, une grande variabilité a été décrite, de quelques semaines à plus de 1 an.
Prise en charge
À ce jour, il n’existe aucun traitement curatif de l’AIA. Cependant, plusieurs études ont montré une efficacité de certains traitements. Une prise en charge globale de l’alopécie, allant de la prophylaxie aux approches palliatives, est proposée (Tab. 3).
Évaluation initiale
La prise en charge initiale (avant tout traitement anticancéreux) consiste en une évaluation de l’état capillaire. Il est recherché une pathologie préexistante comme une carence en vitamine et/ou en oligo-éléments qui serait susceptible d’augmenter le risque d’AIA.
Il peut être proposé un bilan biologique initial avec NFS, TSH, vitamine D, bilan martial… Pour cette évaluation initiale, certains auteurs proposent d’aller jusqu’à la tricho-scopie (examen macroscopique au dermatoscope), au trichogramme (examen au microscope de la racine des cheveux qui permet de distinguer les phases – cycle pilaire), voire à la biopsie.
Les mesures générales
Il est recommandé une coupe des cheveux avant le début du traitement. Il est proposé :
• d’utiliser des shampoings doux,
• d’éviter les tractions des cheveux (brossage intense)
• et de minimiser l’exposition thermique (sèche-cheveux, fers à lisser).
En l’absence de traitement préventif efficace, il convient de proposer des techniques de camouflage : prothèses capillaires, accessoires textiles, pigmentation, tatouages, poudre de kératine…
Un accompagnement psychologique doit aussi être envisagé (psychologue, groupe de parole…).
Le casque réfrigérant
La cryothérapie du cuir chevelu, via l’utilisation de casques réfrigérants (CR), est la méthode préventive la plus étudiée et validée. Ces dispositifs fonctionnent en réduisant la perfusion sanguine locale et en ralentissant l’activité métabolique des follicules pileux pendant l’administration de la chimiothérapie.
Il existe deux techniques :
• le CR classique (CRc) : il s’agit d’un casque rempli de gel réfrigéré. Il nécessite un changement régulier du casque au cours d’une même cure de chimiothérapie pour maintenir la réfrigération ;
• le CR électrique (CRe) qui est un casque dans lequel circule un liquide réfrigéré.
Le CRe a notamment été évalué lors d’un essai randomisé qui a inclus 186 patientes traitées par anthracyclines et/ou taxanes en adjuvant ou néoadjuvant. La préservation du capital capillaire (i.e. alopécie ≤ 1 selon les critères CTCAE) après quatre cycles de chimiothérapie était de 50 % dans le groupe CRe (modèle PaxMan©) versus 0 % dans le groupe contrôle (11).
Deux méta-analyses ont par ailleurs montré que le CRe présente une plus grande efficacité que les autres techniques dans la prévention de l’AIA (12, 13).
À noter que le CR est actuellement le seul traitement de la prophylaxie de l’AIA validé par la FDA. Néanmoins, la popularisation de leur utilisation est ralentie principalement en raison de l’acceptabilité des patients du port d’un casque réfrigéré lors de longues perfusions (14).
Les agents pharmacologiques
Des approches pharmacologiques, bien que moins avancées, font l’objet de recherches.
• Le minoxidil topique 5 % (hors AMM) peut être utilisé en prévention (15) à raison de deux applications par jour pendant la durée du traitement et jusqu’à 4 semaines après. Randolph (16) a montré une efficacité de minoxidil, en particulier sur les alopécies persistantes.
• La spironolactone peut être proposée (hors AMM) en cas d’AIA persistante ou liée à une hormonothérapie. Elle ne présenterait pas d’interaction avec l’hormonothérapie et n’augmenterait pas le risque de cancer du sein (17).
• La cépharanthine n’a montré qu’un effet mineur (et non statistiquement significatif) sur la densité, le taux de croissance et l’épaisseur des cheveux (18).
• Les corticoïdes topiques de classe IV peuvent être utilisés pour les AIA liées aux ICI.
• Le bimatoprost gel 0,03 % est indiqué dans le traitement de l’hypotrichose ciliaire (19).
Les autres thérapeutiques
Le plasma riche en plaquettes (PRP)
Il s’agit d’une technique émergente qui consiste, à partir d’un prélèvement sanguin, à isoler les plaquettes et le plasma afin de les réinjecter au niveau d’une zone du cuir chevelu touchée par une alopécie. Cependant, il existe peu de preuves démontrant l’intérêt du PRP pour le traitement de l’alopécie, et la plupart de ces preuves sont de faible qualité (20).
La biophotomodulation (BPM)
Les données sont encore insuffisantes pour proposer un traitement de l’AIA par BPM. Des résultats positifs ont cependant été publiés pour le traitement de l’alopécie androgénique et de l’alopécie areata (pelade) avec la BPM (21).
L’auto-transplantation capillaire
Il s’agit d’une technique chirurgicale qui consiste à prélever des follicules pileux sur une zone dense en follicules (zone donneuse) et à les transplanter sur une zone moins dense (zone receveuse).
Sa principale limite est une densité folliculaire insuffisante de la zone donneuse chez les patients qui présentent une AIA. Dans une étude publiée en 2021 (22), il a été démontré que l’auto-transplantation capillaire pouvait être un traitement pertinent de l’AIA liée à l’hormonothérapie.
L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêt en rapport avec cet article.
Bibliographie
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